Depuis que vous avez découvert la jungle amazonienne dans La cité perdue de Conan Doyle, et vu Tintin remonter un mystérieux fleuve sud-américain dans Les Picaros, je suis certaine que vous avez toujours rêvé d’aller pêcher des piranhas en Amazonie. Le plus grand fleuve du monde, 10 fois plus long que notre Seine nationale et ses 777 km, est un aimant irrésistible pour tous voyageurs célestes mettant un pied sur le continent sud américain. Un rêve impossible ? Les tours opérateurs maîtrisent la chose aussi bien que les compagnies de bus qui charrient des milliers d’étudiants sans le sous vers le Mont Saint Michel.
Armés de nos sacs à dos de baroudeurs, de bottes en caoutchouc et d’anti-moustiques qui pue, nous prenons l’avion, qui, en deux heures va nous mener de Bogotá à la pointe sud de la Colombie. A Leticia, nous sommes harassés par la chaleur humide et tropicale. Nous filons chercher un tour opérateur pour notre ballade de cinq jours en Amazonie.
Ruancho, un colombien aux allures de Crocodile dandy, nous séduit par ses blagues salaces. A la tombée de la nuit, nous nous rendons au parc Santander, où des milliers de perroquets multicolores hurlent en cœur. Les oiseaux viennent se ravitailler en nourriture avant de rejoindre les abysses de la jungle. Le brouhaha des oiseaux dans l’obscurité naissante se mêle à une forte odeur de fiente.
Amazonie : dans la jungle, terrible jungle
Le lendemain, nous enfilons nos plus beaux atours, à savoir des sarouels et des bottes de pluie. Nous ressemblons à la mère de Staline dans son kolkhoze soviétique, prêts à affronter la jungle. Nous embarquons dans une lancha, une barque minuscule, avec Ruancho et un conducteur de pek-pek, onomatopée du bruit rutilant des embarcations. Les déchets s’amoncellent sur le port de fortune.
Prenant sa source au Pérou, le fleuve est l’unique point reliant le pays des lamas, le Brésil et la Colombie. Zone stratégie de commerces en tout genre, de la yuca, le magnoc, à la cocaïne, elle abrite plusieurs réserves de peuples indigènes. Ces derniers ne ressemblent en rien aux autochtones cannibales vêtus de pagne et de plumes qui habitent à huit jours de marche, dans la jungle du Brésil.
La première étape de notre périple est un gîte aux portes de la forêt brésilienne. Nous marchons pendant quatre heures dans une boue gluante, avant d’atteindre le cœur de la selva. Sur le chemin, nous passons devant plusieurs réserves aborigènes. Des maisons de guingois, construites en tôle, boue et lambeaux de plastique, sont bordées de potagers et de poules en goguette.
Soudain, le guide se retourne vers nous. Je crois que nous marchons trop lentement. Ruancho sort un sac de poudre verte de sa poche : de la poudre de coca. Remède ancestral légal en Amérique du Sud, la substance se mâche et permet d’être performant et concentré. Je mastique. Ça a un goût de gazon humide. Rien à signaler. Quelques minutes, plus tard, les dents encrassées tel Beetlejuice, mon cœur s’accélère et tout semble plus calme.
Les cris des oiseaux et des grenouilles me semblent appartenir un tout harmonieux. Bref, je suis défoncée. Nous croisons des libellules de dix centimètres, des crapauds qui croassent d’un bruit qui ressemble à un « hola ». Les arbres se resserrent ne laissant quasiment plus filtrer la lumière du soleil. Les lianes enserrent les troncs de couleur ocre. Des fourmis rouges énormes courent à nos pieds. En haut des arbres, des paresseux s’accrochent aux branches avec nonchalance. Nous apercevons une clairière : le refuge. Il se met à pleuvoir des cordes.
Miley Cyrus, Coke & Caïpirina
Un couple de colombiens nous accueille, un sourire aux lèvres. La soupe est prête, brûlante dans un chaudron d’étain. Nous dormons dans un bâtiment rond adjacent au gîte. Le soir, au coin du feu, le vieux maître des lieux s’en donne à cœur joie pour nous effrayer avec des contes indigènes. Il nous raconte l’histoire de Kurupira, un esprit qui hante la jungle, prenant la forme d’un être proche des marcheurs, que l’on démasque que grâce à ses pieds retournés. Il enlève les aventuriers pour les perdre dans la nature.
Le matin, je suis réveillée par des hurlements. La faune est matinale et se lève dès les premiers rayons du soleil. J’ai l’impression d’être en boîte : les singes braillent en faisant bruisser les feuilles, les oiseaux chantent de toutes les forces et les grenouilles coassent pire que Miley Cyrus. Nous partons pour la borne frontière brésilienne. Avant de partir, le guide remplit sa gourde de Caïpirinia. Au beau milieu de la jungle, une simple borne en pierre marque la frontière entre la Colombie et le Brésil. La frontière est gardée par des satellites. Ruancho nous dit qu’il est l’heure de rentrer. Il n’a ni portable, ni montre. Il tend sa main vers la lumière du soleil. Il lit l’heure sur sa main, à la minute près. Nous restons bouche bée.
Pérou 2.0
Le lendemain, nous partons pour le Pérou. A bord de la lancha, nous naviguons pendant quatre heures sur le fleuve. A terre, nous sommes hébergés par une tribu péruvienne d’une centaine d’habitants. Leur village est immergé pendant six mois de l’année. Pendant cette période, tout le monde est en barque. Le reste du temps, les jeunes jouent au foot et vont à l’école.
Le soir, après un bon repas, nous nous installons à côté des enfants qui se rassemblent dans la maison des doyens pour regarder la télé. Les enfants nous observent avec curiosité, puis se désintéressent de nous dès que la VHS commence. Sur l’écran, apparaît un enfant en poncho qui danse devant un temple religieux. La musique démarre. C’est un chant religieux « Dios de Israel », Dieu d’Israël. Les enfants chantent à tue tête. La VHS s’achève sur des chants religieux catholiques américains, sous-titrés en espagnol. Les gamins apprennent l’anglais en copiant les paroles en phonétique sur un cahier. Version 2.0 des missions évangéliques. On s’endort. Soudain, le coq nous réveille. Il fait encore nuit. Je croyais qu’un coq ne chantait qu’une fois par heure: grave erreur. Le relou de la ferme se met à hurler quand bon lui semble, à chaque heure à peu près.
L’eau à l’Amazone
Après cette charmante nuit, je décide de prendre une douche, c’est à dire, un bain dans l’Amazone. L’eau que nous croyions profonde ne fait en réalité qu’un mètre de profondeur. Je me jette dans l’eau avec vigueur pour me réveiller. J’atterris sur un sol d’argile poisseux. Après quelques secondes, je me fais pincer dans l’eau. Croyant au monstre du Loch Ness, Ruancho me voit sortir en criant de l’eau. Il est plié en deux le gros malin. Ce sont des petits poissons qui mangent les peaux mortes, apparemment. Prudente, je décide de faire ma toilette depuis le pont de bois.
Suite du programme : pêche aux piranhas. Première pêche de ma vie, j’observe la canne en bois avec méfiance. Ruancho s’empare de sa canne hyper high-tech. Un poisson chat mord au bout de cinq minutes. Toutes les deux minutes, un piranha mange mon hameçon, sans se laisser pêcher. Au bout d’une heure, j’en conclus que la pêche est vraiment un sport de faignant. Soudain, un poisson aux dents aiguisées mord ! Je fais ni une ni deux et je remonte le fil avec l’agilité d’une panthère. Le fil se coince dans une branche. Vous avez dit agile ? Je réussis tout de même à récupérer mon premier piranha. Très savoureux, une fois grillé à la plancha !