Tous les premiers mardis du mois, on vous donne notre liste de lecture : cinq titres récents à découvrir, cinq auteurs talentueux, gages d’une qualité littéraire élevée mais également d’une certaine facilité de lecture. En bref, c’est ni du Marc Levy, ni du Kundera, mais c’est frais, c’est bien écrit, et ça mérite que vous y jetiez un coup d’oeil. Bonne lecture.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Lève-toi et charme, Clément Bénech

« Alors que la rame de métro arrivait à quai et que je devais y monter, Dora m’embrassa sur les lèvres et s’enfuit. Plus tard, dans la soirée, je lui écrivis un message :

MOI - Tu m’as embrassée sur le bouche.
DORA - C’est comme ça que les Russes se disent bonjour et au revoir, entre amis.
MOI - Tu es russe ?

Pas de réponse. »

Qui se lève et charme, chez Clément Bénech ? Certainement pas ses narrateurs, ni dans son premier livre, L’été slovène, ni dans ce second roman qu’il publie chez la prestigieuse Flammarion.

Son énigmatique narrateur dont on ne connait pas grand-chose, sinon qu’il est caractérisé par un flegme incroyable et un côté un peu looser, se laisse porter au gré des pages, se laisse emporter dans une aventure où il ne figure jamais vraiment le héros, où il sublime la passivité tout en parvenant à concentrer l’action.

Comme un Pierrot mon ami du XXIème siècle, la vingtaine bien entamée, pro de la procrastination, avide de voyages et de découvertes, le narrateur se voit gentiment congédié à Berlin par son Directeur de thèse, soucieux de cet énorme poil dans sa main. Ce qui devait être pour lui la ville de la solitude se transforme pourtant en une exploration palpitante au gré de ses rencontres impromptues avec Dora, une jeune femme mystérieuse, un peu siphonnée, carrément magnétique, qui accroche lecteurs et narrateur du même coup. Entre Annabelle, sa copine que le temps du couple nous rend lisse, et Dora, l’imprévisible tornade transcendée par le goût de l’aventure, le cœur du narrateur vacille.

Dans Lève-toi et charme, Clément Bénech scrute les méandres de Berlin qui se fondent dans ceux des cœurs et se confondent aux sentiments de personnages idiosyncratiques, attachants et terriblement bien malmenés. Une tension douce qui grimpe jusqu’à la dernière page, ponctuée d’un art de la formule bien travaillé et d’une délicate poésie qui s’accroche à un phrasé recherché mais accessible. Une lecture facile, entraînante, jolie. On aurait presque envie de dire : charmante.


À lire aussi :
Clément Bénech : Auteur, étudiant et serial twitteur

 


Pas dans le cul aujourd’hui, Jana Černá

« Pourquoi est-ce que je ne peux pas me coucher sur toi dans la jubilation d’une tendresse presque asexuée et, tout en te faisant l’amour, parler de ce que nous avons mangé à dîner ou du temps qu’il fait ? »

Le titre était osé. Tiré d’un poème de l’auteure, il faut passer outre la provocation du premier abord pour entrevoir les tréfonds un texte à haute charge politique, véritable manifeste d’un féminisme décomplexé, bordé d’une charge érotique cristallisée par l’intarissable rébellion qui suinte par les pores de chaque mot.

Loin d’un Cinquante nuances de Grey, Pas dans le cul aujourd’hui c’est d’abord le cri intime d’une femme face à l’atmosphère étouffante qui atrophie la Tchécoslovaquie d’après-guerre, plongée dans la Guerre Froide. Daté de 1962, Jana Černá signe là un véritable manifeste prônant la liberté individuelle jusque dans le sexe, dans un pays en proie à une répression asphyxiante.

L’exaltée amoureuse livre ici à Egon Bondy, son philosophe et amour, une volonté ferme de s’affranchir des codes, d’explorer les possibles de l’amour et de la sexualité. Journaliste résistante brillant par un anticonformiste social et littéraire dont les nombreux pseudonymes nous détournent de sa paternité, elle refuse de se soumettre à la primauté masculine – un avant-gardisme fou à l’époque – et prône une indépendance mesurée du sexe et du sentiment, loin des codes conventionnels du romantisme.

Cette lettre d’amour et de liberté, stupéfiante de spontanéité et de modernité, s’adresse à son amant qui, lors de son enterrement, déclamera : « On l’enterre en ce moment et moi je suis si loin, assis dans une ville glacée où personne ne sait qu’elle a été ce que l’homme peut atteindre de plus grand. » Un souvenir aussi poignant que cette incroyable femme : une lecture indispensable à offrir à vos copines et à vos mamans. (Éditions de la Contre-Allée)

A lire aussi : En attendant Bojangles, d’Olivier Bourdeaut

 

Au Feu, Gilda !, Géraldine Barbe

« Gilda a compris le message. Aucun doute, l’homme l’ignore, il ne l’aime pas du tout. Il s’en fout complètement. Y aurait-il quelque chose à comprendre qu’elle n’aurait pas compris ? L’homme et son bonnet seraient-ils les instruments de sa perte, voire, les instigateurs ? Un complot serait-il ourdi contre elle ? En vérité, en plus d’insupportable, tout cela devient ridicule, d’autant que le manque de participation du héros principal remet gravement en question l’écriture de son histoire d’amour. Et pourtant, elle n’abandonne pas. Il est évident que Gilda est prête à se sacrifier totalement sur l’autel de la littérature. Si ce n’était pathétique, ce serait beau.

Résumé : Gilda s’embourbe.
Suggestion de titre : L’Autel, Gilda. »

40 ans, fraîchement divorcée et au chômage : ça, c’est le verre à moitié vide. Mais du haut de cette héroïne loufoque qui ne voit que ce qu’elle veut voir, le verre est toujours plein à ras bord. Gilda se lance ainsi dans un projet de roman pour contenter Claire, sa conseillère Pôle-Emploi aussi psychorigide que Gilda est truculente, et pour relancer sa carrière en berne. Insupportable et névrosée, l’héroïne qui se sacrifie sur l’autel de la littérature pour sauver sa maison d’édition par son talent nous séduit sans cesse par son ingénuité un peu faussée, par sa fixation sur l’Homme au bonnet, par ce qu’elle retombe dans les clichés affabulateur des jeunes filles en fleur – mignon à l’adolescence, rapidement pathétique passé l’âge adulte.

Le roman pourrait être mauvais par bien des aspects, et pourtant, il se démarque par sa construction judicieuse et fantasque. Les récits s’enchâssent très rapidement et s’enchaînent : l’auteur écrit Gilda, une héroïne au chômage qui se lance un l’écriture pour pallier la « pénurie d’auteurs de talents », et qui choisit, comme fil conducteur de son roman, Gilda, une héroïne au chômage écrivant un roman. Une sorte de méta-littérature très réussie, sans cesse entrecoupée d’objections de Géraldine Barbe elle-même, puis de Gilda l’héroïne romancière, dans des dialogues hilarants avec Philomène, vieille éditrice à la retraite qui se charge de relire et de suivre les essais désastreux de Gilda.

Un humour qui s’instille jusque dans le cliché remarquablement construit de l’homme fantasme, dit « L’Homme au bonnet », un papa croisé régulièrement à la sortie de l’école. Une idylle naît aussitôt dans la tête de Gilda (mais pas vraiment dans la réalité), qui chante, s’enchante et déchante très vite, puis se console dans les tribulations d’une vie miséreuse qu’elle colore de champagne et de soirées mondaines. Drôlatique, intelligent, rapide : Au feu, Gilda ! est une bouffée d’air frais, dans la même veine que Bridget Jones si elle avait avalé une bouteille d’optimisme. (Rouergue)


A lire aussi
: Le Dernier amour d’Attila Kiss

 

J’ai toujours ton cœur avec moi, Soffía Bjarnadóttir

« Aussi loin que je me souvienne, maman a toujours brûlé de l’intérieur. Comme Narcisse, elle était en quête de sa propre flamme. Du feu originel. Dans ma jeunesse, elle possédait les pouvoirs caractéristiques du phénix. Un oiseau millénaire qui bat des ailes et renaît de sa propre déchéance. Régulièrement, elle rejaillissait des cendres, belle et fraîche, le soleil éclairant son visage. Impossible d’endurer la vie avec de tels personnages. Terre calcinée et odeur de brûlé à chaque pas. Puis voilà que cet ersatz de phénix s’élève comme le soleil à l’aube, et nous demeurons en arrière, la face grise des cendres. On dirait que rien ne peut affecter ces gens-là. Ainsi était Siggỳ. Mon frère et moi étions spectateurs, et toute notre vie a eu le goût des cendres. »

Premier roman d’une poésie bouleversante, J’ai toujours ton cœur avec moi met une jeune fille, Hildur, face au fantôme de sa mère, bien plus présente dans la mort qu’elle ne le fut de son vivant. Dans un style épuré et poétique, Soffía Bjarnadóttir plonge brièvement son héroïne dans les hantises de la mort et des souvenirs, de la peur de l’héritage et de la folie, le temps d’une pause hors du monde, sur une petite île islandaise, et hors du temps, dans un voyage permanent entre passé et présent. « La neige qui recouvre la petite ile de Flatey m’oblige à regarder droit dans les yeux cette argile dont je suis issue. La seule chose qui compte, c’est que Siggỳ est passée dans l’eau delà et qu’elle n’en reviendra pas. Ma maman qui jamais n’endossa le rôle de mère ».

Le style dépouillé et l’annonce calfeutrée de cette maman qui est morte fait forcément appel à Camus, et on lirait presque entre les lignes de Bjarnadóttir « Maman est morte ». Plus poétique, plus torturé aussi, J’ai toujours ton cœur avec moi s’élance dans les replis sinueux du souvenir familial, dans les extrêmes d’une relation étrange, dysfonctionnelle entre une mère et sa fille. Un dysfonctionnement qui se transmet : Hildur n’échappe pas à l’atavisme et tombe dans les mêmes travers que sa mère, dans la même folie douce, dans la même incapacité à endosser son rôle de mère avec son fils qui s’échappe.

Dans la petite maison jaune dont elle hérite, elle revit ses ruptures : l’absence du père, le départ du frère, l’éloignement du fils. Ses balises s’estompent, ce qu’elle a mis en place pour oublier disparaît, ses souvenirs s’entrechoquent, se mélangent, les histoires s’entrecroisent. Avec pudeur, Soffia Bjarnadottir restitue ce sentiment du vide et de l’absence. Un voyage temporel au bout de l’Islande qui nous embarque dans une longue promenade de souvenirs, remplie comme jamais par l’inconsistance ostentatoire de l’insupportable vacuité. (Zulma)

N’oubliez pas de tomber amoureuse à Paris, Mademoiselle Peppergreen

« Je comprends alors une chose fondamentale : dans ce milieu, on s’aime, mais seulement quand on est dans la même pièce. »

Gemma Singer quitte à peine son prestigieux campus New-Yorkais qu’elle est entraînée de force dans un job dégoté par les mondanités de son illustre mère parisienne. Diplôme de journalisme presque inutile en poche, elle débarque dans la capitale de la mode et plonge dans les affres des coulisses de la télévision. Un job harassant pour une héroïne insupportable une bonne partie du roman.

Entre papa maître zen sur les hauteurs californiennes et maman reine des cercles parisiens, Gemma trouve le moyen de foirer tout ce qu’elle touche à un point ridicule, crache sur la fortune familiale et la mode parisienne qu’elle exècre mais à laquelle elle est forcée d’adhérer dans une boutique privatisée Avenue Montaigne, joue les poupées Barbie pour sa meilleure amie styliste qui l’habille à l’envie, et fait chavirer les yeux de presque tous les hommes qu’elle croise. Gemma, c’est un peu Bella qui aurait quitté Twilight pour coloniser le monde étriqué de la télé.

Construit sur une héroïne clichéique au possible, le roman feel-good de l’été prochain partait mal. Et pourtant. Tout un pan du roman qu’on regrette de ne pas voir plus développé parvient à supplanter ce topos de la pauvre héroïne géniale qui a tout sans rien vouloir (ce n’est pas l’aspect sentimental qui rattrape ce début, oh, surprise).

Les auteures qui se cachent derrière le pseudo de Mademoiselle Peppergreen sortent tout droit du monde de la télévision tant décrié dans ce roman à l’eau de rose. Qu’est-ce que ça apporte à l’aspect littéraire ? Pas grand-chose. L’intrigue, en revanche, s’en trouve agréablement nourrie. Plongée sous-marine en apnée dans les coulisses détestables des agences de castings, des stars, de la production télévisuelle et des égos rivaux qui s’écorchent sans respect ni professionnalisme : la critique vire au vitriol, prend une forme de plus en plus légitime au fil du roman, à mesure que les simagrées de Gemma tarissent sous une machinerie trop prégnante pour intégrer les détails qui peinent à crédibiliser l’héroïne (et c’est tant mieux). Des détails qui, gommés, le hisseraient certainement au rang du Diable s’habille en Prada qui fait figure de référence omniprésente le long des chapitres, sans toutefois parvenir à s’en affranchir.

N’oubliez pas de tomber amoureuse à Paris aurait pu être très bon, s’il avait un peu moins joué sur les codes vus et revus de la chick litt sentimentale : une assertion qui semble prendre vie à mi-chemin, où l’intrigue redresse miraculeusement, et verse dans une construction plus méthodique et qualitative, plus graduelle et subtile que son début un peu « gros ». Les tensions dramatiques se croisent, entre amitiés mises à mal et une pression professionnelle qui monte crescendo et qui nous embarque avec une grande justesse. Bonus : chaque chapitre est ponctué d’une anecdote réelle sur les caprices d’une star de la musique, de Beyoncé à P. Diddy en passant par Mariah Carey. Un roman frais à dévorer sur la plage cet été.


A lire aussi : Peut-on juger un livre sur une seule page ?

Comments

comments

La Liste : 5 romans à lire en avril

par Lolita Savaroc Temps de lecture : 9 min
0