2017 rime avec Brexit, avec Donald Trump, avec populisme, avec attentats. Mais nous devrons aussi penser, désormais, au bouleversement. Oui, avec le premier tour de l’élection présidentielle, la France vient de vivre un bouleversement majeur, qui est celui de la fin actée du bipartisme traditionnel et du clivage gauche – droite tel que nous l’avons connu jusqu’à présent. Notre pays rentre dans une nouvelle ère, et les partis n’ont pas fini soit d’en jouir soit d’en souffrir.

Marine Le Pen et Emmanuel Macron
© Sud Ouest - AFP

La fin du clivage droite – gauche ?

L’élection présidentielle de cette année était scrutée par le monde entier, et les Français lui donnent raison. Longtemps, le système partisan était considéré comme bipolaire autour de l’UMP puis des Républicains, et du Parti Socialiste ; voici que les réels (et non plus ceux fantasmés et théoriques) clivages se sont révélés, entre progressisme et conservatisme, entre souverainistes anti-libéraux et libéraux plus ou moins européistes. Deux visions du monde s’affronteront donc au second tour.

Néanmoins, s’agit-il ici d’un nouveau clivage qui apparaît ou bien simplement de sous-clivages au sein du clivage droite – gauche qui existait ? Théoriquement, les clivages émergents lors de révolutions, c’est tout du moins la définition qu’en donnent Stein Rokkan et Seymour Lipset dans leur œuvre parue en 2008 Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs : une introduction. Ainsi, en France, l’État s’est construit contre l’Église, les Girondins se sont opposés aux Jacobins, le monde rural s’est heurté au monde urbain, les possédants aux ouvriers et enfin les réformistes aux révolutionnaires. S’est ajouté un clivage, pour Stefano Bartolini, le clivage européen entre souverainistes et fédéralistes. Il trouve cependant ses limites dans la mesure où les deux sphères opposées ne sont pas si homogènes : entre souverainisme de fermeture, recherche d’une Europe interétatique ou encore fédéralisme partiel.

Quant au progressisme opposé au conservatisme, ce clivage est transpartisan ; et l’exemple du mouvement DroiteLib est en cela particulièrement intéressant, il se dit progressiste, humaniste et libéral, tout en appartenant aux Républicains. Et il ne s’agit là que d’un exemple parmi tant d’autres. J’attache une importance forte aux termes « progressistes » (et non réformistes, qui existe déjà dans les typologies des clivages) et « conservatistes » (et non conservateurs, qui est trop connoté) conformément à mon analyse d’avril 2014 pour Les Echos, dans laquelle j’entrevoyais d’ailleurs l’exacerbation du bouleversement que nous connaissons aujourd’hui. Croire dans le progrès n’est pas un marqueur partisan, mais une conviction intime.

Il s’avère que ce sont quatre forces qui émergent, parfaitement conformes au double clivage précédent, avec plus de 40 % des Français qui se sont tournés vers les deux extrémités de l’échiquier politique, et avec un mouvement centriste à plus de 20 %. Alors, effectivement, il semble que le clivage traditionnel soit en train de se fissurer.

L’enjeu majeur des élections législatives

Tout dépendra des élections législatives qui vont, elles, définitivement recomposer le paysage politique. En effet, au-delà du candidat qui atteindra la magistrature suprême, il nous faudra éviter un scénario espagnol avec quatre forces incapables de gouverner. Le scrutin majoritaire à deux tours peut nous en préserver, bien entendu, mais cette majorité sera complexe, et ce, quel que soit le candidat élu. Nous avons actuellement une extrême-droite, une droite, un[e forme de] centre (dont la définition pose question) et une extrême-gauche qui représentent chacun(e) un cinquième des votants. Quid dans une assemblée ?

Le comportement des partis et des votants sera donc crucial. Si aujourd’hui l’UDI est associée aux Républicains dans des candidatures communes à la députation, l’une et l’autre accepteraient-elles de rejoindre une majorité présidentielle ? Même question pour le Parti Socialiste, qui était très tranché (à la négative) à ce sujet avant le premier tour. Quant aux électeurs, leur fidélité au mouvement pour lequel ils ont voté est encore inconnue. En clair, il se pourrait que ces élections législatives emportent les partis actuels, divisant ceux prêts à rejoindre la majorité présidentielle afin de former de nouvelles coalitions et ceux ne l’étant pas. Les notions de droite et de gauche seront sans doute amenées à s’estomper, ou à prendre de nouvelles formes, à l’instar de chez nos amis allemands par exemple.

Redéfinir le centrisme

Le centre retrouve donc, à l’issue de ce premier tour, une nouvelle définition. En Marche est-il un mouvement centriste ? « De gauche et de droite » répond le candidat. Toute la question porte sur sa mesure et sa dimension : jusqu’où se portera-t-il à droite comme à gauche ? Le jeu d’équilibriste sera difficile, afin de tenir compte des autres forces, tout en souhaitant conserver son identité et ce qui a fait son succès pour ce premier tour. Il peut s’agir d’une majorité à l’allemande, hétérogène, de coalition et de consensus. Il peut aussi s’agir d’une majorité peu composite, que les autres députés pourraient rejoindre ou non selon les thèmes et les convergences. Autrement dit, le vote des députés ne serait plus celui de la discipline des partis mais des valeurs et convictions profondes.

Tout dépendra bien sûr de la volonté des Français de donner à leur Président(e) une majorité plus ou moins large en votant pour les candidats issus de son mouvement. En effet, si En Marche obtient la majorité des sièges, ce sont les autres partis qui en pâtiront, et un ou plusieurs partis traditionnels pourraient même disparaître. Peut-on imaginer que la gauche devienne celle des États-Unis, pour lesquels les Démocrates sont souvent proches de notre centre-droit ? Tout est possible. Et ces remarques valent aussi pour Marine Le Pen : obtenir une majorité est quasiment impossible pour elle, et ce ne serait donc qu’une cohabitation qui attendrait notre pays.

Les Français ont aujourd’hui rebattu les cartes de la vie politique, d’abord en excluant droite et gauche, ensuite en votant pour les extrêmes, enfin en positionnant en pôle position un candidat hybride qui appelle la société civile à se mobiliser et qui n’a jamais été élu. Nous écrivons une nouvelle histoire politique pour notre pays, et elle promet d’être passionnante. Espérons-la heureuse.

Guillaume Plaisance

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E. Macron – M. Le Pen : un nouveau monde politique ?

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