Patrick Pelloux est récemment connu pour ses apparitions médiatiques toujours remarquées, mais peu connaissent ses véritables combats. Rencontre avec l’urgentiste aux multiples casquettes.
Aperçu au Salon Du Livre pour la dédicace de son livre Toujours là, toujours prêt, Patrick Pelloux a tout de suite accepté une seconde rencontre autour d’un café. Nous voilà donc quelques jours plus tard à papoter au bar Le Smiley, tout sourire. Je voulais un entretien décalé, parler de tout et de rien, et surtout, retrouver le Patrick Pelloux que l’on connaît, à savoir grande gueule et engagé au possible. Pas de déception, bien au contraire ! Les méandres de nos conversations ont bifurqué de l’engagement des jeunes jusqu’à l’écoute des Rolling Stones dans les maisons de retraite, et de la prévention santé chez les étudiants à un conseil de piège d’article sexo… Accroche ta ceinture, je mets le gyrophare, l’urgentiste est dans la place.
L’engagement façon Patrick Pelloux
On va mettre les choses au clair de suite, Patrick Pelloux n’est pas que l’ex-chroniqueur de Charlie Hebdo que l’on a vu sur les plateaux télés. En vérité, l’histoire remonte à bien plus loin que ça. Nous sommes en 2003, en pleine canicule, lorsque la grande gueule de l’urgentiste se fait connaître. Il dénonce alors les nombreux décès dus à cette situation exceptionnelle en tirant la sonnette d’alarme. Il écrira par la suite le livre Urgentistes sur les fameuses conditions déplorables qui ont entraîné une telle catastrophe humaine. Aujourd’hui président de l’AMUF (Association des Médecins Urgentistes Français), Patrick Pelloux continu un combat perpétuel sur la santé et les conditions d’exercice du métier. L’homme, à la fois urgentiste engagé, écrivain et chroniqueur, a une vision de l’engagement plus qu’entière. « Les engagements sont d’autant mieux et sincères quand on y croit vraiment, c’est-à-dire qu’épouser une cause ou défendre quelque chose, que ce soit dans l’action humanitaire ou l’action sociale ou l’action politique, c’est quelque chose qu’on peut faire si l’on porte quelque chose de fort, et si l’on y croit jusqu’au bout. »
Ce que l’on ignore souvent, c’est que l’engagement est apparu à l’urgentiste comme une évidence. A l’époque étudiant en médecine, il est forgé à l’école de la débrouille, en créant un métier qui - à ce moment-là - était totalement méconnu. Ainsi, Patrick Pelloux a fait énormément pour le métier de médecin urgentiste, métier qui, aujourd’hui, est plus que central dans le domaine médical. « Moi, l’engagement, il était un peu tout trouvé. Il a été d’abord l’hôpital, avec un parcours un peu particulier parce qu’en fait, j’ai voulu faire et m’investir dans un métier qui n’existait pas. Il a fallu construire un rapport de force, une stratégie syndicale, sociale, qui a fait que la médecine d’urgence a été beaucoup plus reconnue, mais ça a été un sacré combat ! Et après, les hasards de la vie ont fait que, d’un coup, j’ai pu écrire pour Charlie Hebdo pendant 13 ans, ce qui a été une belle aventure, avec des amis fabuleux, et qu’il a fallu arrêter parce qu’ils ont tous été massacrés dans un attentat sordide. »
Avec le paiement des interventions des pompiers c est le FN qui va encore progresser. Cette ségrégation sociale par l argent est honteuse
— Patrick Pelloux (@PatrickPelloux) 28 mars 2016
Engagé jusqu’au bout des tweets
Les jeunes et l’accès aux soins
Il fallait tout de même profiter d’avoir Doc Pelloux sous la main pour aborder le sujet casse-gueule de l’accès aux soins chez les étudiants. Pour lui, un gros travail de prévention est encore à faire, et c’est aux soins de venir aux jeunes, qui ne vont pas forcément se faire spontanément soigner. « Il faut dynamiser des centres de santé sur les campus, qu’ils soient pas des centres de santé mal foutus et pas agréables, il faut que ce soit des trucs agréables, et il faut de grandes campagnes de prévention pour les jeunes. Puis, à chaque fois qu’on dit prévention des jeunes, on pense aux maladies sexuellement transmissibles parce qu’on a l’impression que les jeunes, c’est un grand lupanar, mais il y a de la prévention à faire sur l’obésité, sur le dépistage des maladies chroniques comme le diabète ou les cancers et puis, bien entendu, la prévention sur les conduites addictives comme l’alcoolisme. »
Malgré la situation relativement chaotique, Patrick Pelloux garde espoir, toujours dans l’esprit de solidarité qui lui est cher. « Quand on regarde, le monde de la santé étudiante, c’est un peu l’abandon qu’il y a eu aussi dans les centres de santé de quartier, mais aussi la santé au travail, la santé en prison, la santé à l’école… c’est des choses qui ont été un peu abandonnées en fait. […] Mais il y a des choses à inventer ! Je pense, par exemple, qu’on pourrait très bien imaginer que les campagnes de prévention ou de dépistages soient réalisées par les facultés de médecine où t’as plein d’étudiants, plein d’internes et de jumeler les facultés ! […] ça pourrait être une idée de solidarité qui ferait gagner un peu de sous aux étudiants en médecine, ce serait pas mal ! »
Oui, c’est le bordel dans la santé
Patrick Pelloux l’a dit et l’a écrit maintes et maintes fois, la santé, c’est le bordel. Que ce soit avec son livre Urgences pour l’hôpital, clairement sur les défaillances du système de santé, ou à travers des chroniques touchantes sur son quotidien d’urgentiste dans Urgences, si vous saviez (Tome 1 & 2), Doc Pelloux parle d’un quotidien qu’il connaît trop, à savoir le système de santé imparfait, et des patients toujours dans le besoin. Pourtant, pas une once de plainte dans ses propos lorsque je lui demande quels seraient, selon lui, les trois choses à changer dans le système actuel de santé, mais uniquement de belles idées qui, indéniablement, referaient une bonne santé au système !
« Premièrement, les années d’études de médecine, qui sont trop longues. Faut mettre les jeunes beaucoup plus précocement dans l’emploi, on leur rallonge sans arrêt leur cursus, je pense que c’est une erreur, je pense qu’il faut les faire venir beaucoup plus tôt dans le monde du travail. […] Je m’engueule souvent avec mes collègues parce que je leur dis « vous parlez aux étudiants en médecine comme si c’était des enfants ! » Ils sont pas des enfants, ils ont tous aux environs de 25 balais, c’est des adultes, ils ont probablement plus de connaissances médicales que moi parce qu’ils ont une grande modernité sur des tas de choses ! »
Toujours dans cette idée de faire respirer la médecine, Patrick Pelloux pense qu’il faudrait « développer de manière beaucoup plus sérieuse la formation médicale en continue et reformer tous les 5 ans les médecins, dans les facultés de médecine, pour déconnecter définitivement la formation médicale continue des laboratoires pharmaceutiques. Et à ce moment-là, ça créerait une dynamique dans le monde de la santé pour arriver à quelque chose qui, je crois, est vraiment essentielle, c’est qu’un médecin puisse évoluer au cours de sa carrière et changer de spécialité. » Comme il le dit si bien, après tout, pourquoi il faudrait imposer à un proctologue de l’être toute sa vie s’il a fait le tour (si j’ose dire) au bout de 15 ans ? Un médecin a totalement les capacités et connaissances pour changer de spécialisation en repassant par la case formation.
« Il faut créer un souffle nouveau dans le monde du travail de la médecine. »
« La deuxième chose à changer dans le monde de la santé, c’est de faire arriver le tiers payant généralisé de manière à déconnecter véritablement et de tordre le cou à ces médecins qui disent « les gens me payent donc les gens, comme ils me payent, il croient beaucoup plus en moi ». Je crois pas que ce soit la valeur de l’argent qui doit intervenir. […] Et la troisième chose, je pense que ce qu’on doit avoir, c’est une simplification du système de santé […] il y a une réforme à faire vraiment profonde pour beaucoup plus de transparence. »
« Je crois que déjà si on fait ça, on aura bien avancé ! »
Entre coups de gueule et messages d’espoir
Une foi inébranlable en la jeunesse
Ce qui est très appréciable chez Patrick Pelloux, c’est qu’il a une foi en l’homme assez extraordinaire. Tu me diras, pour un urgentiste, encore heureux qu’il croit en ce qu’il sauve. Certes, mais l’urgentiste a une vision de la jeunesse particulièrement encourageante. Très positif face au rassemblement énorme qu’il y a eu en France pour les attentats de Charlie Hebdo, le Doc voit aussi au quotidien des étudiants en médecine qui ont soif de s’imposer. C’est donc tout naturellement qu’il a des propos encourageants sur nous, « les jeunes », et déplore davantage l’attitude de ceux qui ne nous insèrent pas dans la société. « D’abord, je déteste le truc de « c’était mieux avant ». Je déteste le truc de « les jeunes seraient moins engagés sur les valeurs communes, la République, ect..! » Je crois absolument pas ! Il y a les mêmes dispositions, les mêmes choses. […] C’est peut-être les générations un peu plus anciennes qui sont pas suffisamment attentives aux jeunes pour les insérer ou leur trouver une place dans le système. Puis d’autre part, moi il y a un truc qui me gave vraiment beaucoup, c’est le sociologisme par l’âge qui fait qu’on met les gens dans des cases ! »
« Passé 15 ans, le cerveau est formé, et tout le monde est rigoureusement égal. »
Toujours dans l’optique du sociologisme par l’âge, Patrick Pelloux démontre avec hardeur que les choses avancent, avec un exemple made in Pelloux qui vaut le détour : « les maisons de retraite ça va changer, ça chantait La Java Bleue en regardant Les chiffres et les lettres, c’est fini ça ! En maison de retraite, t’as des gens qui ont envie d’écouter les Rolling Stones maintenant ! C’est ça qu’il faut voir, c’est que les choses avancent. »
Et si on parlait des médias ?
Rien de tel pour terminer ma dernière gorgée de café que de lancer Patrick Pelloux sur le sujet du paysage médiatique français. Amateurs de franc-parler, je vous laisse admirer le travail.
- Qu’est-ce que vous pensez du paysage médiatique français ?
Il est à chier.
Punchline mise à part, Patrick Pelloux déplore un système d’information toujours plus basé sur le divertissement, plutôt que sur l’information. « Je trouve que le boulot des journalistes qui consiste à avoir une information et la vérifier, vérifier ses sources, être sur de l’information, on est en train d’oublier ça au profit de l’immédiateté et de la génération Twitter, donc je trouve ça mauvais. Je trouve que c’est très primitif, c’est très basé sur le cul, sur les ragots… On a faim d’intelligence, on a faim de traitement de l’information. » L’ex-chroniqueur à Charlie Hebdo tient aussi à rajouter que, pour lui, les médias colportent beaucoup trop les théories complotistes.
Alors que la tasse de café était vide depuis plusieurs minutes, Patrick Pelloux termine notre discussion sur le ton de l’humour, mais toujours avec une pointe de vérité. Des médias, nous en sommes venus au cher média sur lequel vous lisez cet article, L’Etudiant Autonome. Encourageant et amusé, le Doc continue dans la lignée du manque d’information dans les médias, et me donne même un conseil délirant pour dépasser le stade de l’article « fun ». « Faut les piéger ! Faut s’amuser un jour à faire un journal où tu les pièges en mettant « toute la vérité sur les envies sexuelles des mecs » par exemple et puis, en fait, tu mets que des articles culturels. Et puis tu leur expliques à la fin en disant « voilà, vous avez cherché un truc de cul, il y en avait pas, par contre, on vous a appris une pièce sur Brecht, on vous a montré une nouvelle littérature, et hop ! » Je crois que le ton bienveillant et l’humour de Patrick Pelloux est plus que parlant dans cette conclusion. Toujours à encourager la jeunesse, à faire porter sa grande gueule, et à donner confiance en l’espèce humaine. Il paraît que l’on en a grandement besoin en ce moment, alors, sincèrement, merci Doc !
« Si vous mourez de peur, d’ennui, de faim, si vous mourez d’envie, de désir, d’amour, si vous mourez de soif, d’inquiétude, de fatigue, de chagrin, si vous mourez de rire, de vieillesse, de maladie, si vous mourez dans votre lit, de mort naturelle, à petit feu, sous l’autobus, sous l’avalanche, si vous mourez de jalousie, de concupiscence, pour rien, pour partir, pour arrêter, pour en finir, pour faire chier, si vous mourez pour Sophie, pour Sandrine, pour Marie-Laure, pour Dolorès… Appelez Patrick Pelloux, l’urgentiste, il sait ce que c’est de ne plus en avoir pour longtemps, il va regarder sa montre pour vérifier que ce n’est pas votre dernière heure, vous irez boire un coup ensemble, au café des morts-vivants, et il vous expliquera qu’on peut être mourant toute sa vie, et qu’il n’y a pas de quoi en faire un drame, puisqu’on est tous mortels. » Wolinski