Tous ceux qui l’ont vécu pourront vous dire la même chose. Un Erasmus, c’est la meilleure année dans la vie de quelqu’un. Celle qui changera votre vision de voir les choses, celle qui vous donnera de nouveaux objectifs et de nouveaux rêves, celle qui vous apprendra beaucoup, celle qui vous changera à tout jamais. Je vous partage mon propre témoignage de mon aventure andalouse.

Je n’exagère pas lorsque je dis que partir en Erasmus a été la meilleure décision que j’ai pu prendre dans ma vie. C’est près de deux ans après sa fin que j’ose enfin m’exprimer sur ce que j’ai pu vivre. Comme si, avant, je n’avais pas les mots nécessaires pour le faire, comme si les mots me manqueraient de toute façon. Cela va sonner un peu cliché et pourtant, c’est véridique : un Erasmus ne se raconte pas, il se vit. Comme si après l’avoir vécu, on ne pouvait pas et surtout on ne savait pas quels mots poser sur tout ce que nous avons vu pendant 6 mois ou, comme moi, pendant un an. C’est tellement intense, tellement fort. Je crois que même deux ans après je ne pourrai jamais raconter tout ce que j’ai ressenti. C’est sûrement la plus intense, la plus frustrante, la plus belle, la plus enrichissante des années que vous vivrez dans votre vie.

Alors les mauvais souvenirs deviennent des anecdotes sympas à raconter. Comme cet auto-stoppeur qui vous a fait croire que votre mort était imminente ou ce coup de fil que vous avez reçu à 4h du matin, qui vous a fait peur mais qui vous a permis d’appeler une amie (qui est venue sur le champ) et avec qui vous avez passée l’une des meilleures soirées de votre existence.

Nous, enfants d’Erasmus, lorsque nous racontons la plus belle année de notre vie et que nous voyons que notre auditoire n’est pas réceptif, nous allons dire : “Non mais tu ne peux pas comprendre, il faut vraiment l’avoir vécu pour comprendre ce que je suis en train de dire.” Mon amie italienne qui est partie en Erasmus me disait la même chose : “Il faut le vivre pour le comprendre.” On se comprenait.

Comme si le monde était divisé en deux catégories : ceux qui sont partis en Erasmus et puis, ceux qui ne sont pas partis en Erasmus. La première catégorie sera, pour nous, comme une deuxième famille.

Le début de mon aventure Erasmus

Je suis partie à Cádiz. Une ville d’Andalousie. Tout en bas. Cádiz était plus proche du Maroc que de Paris, plus loin de ma vie. Mon premier choix avait été Madrid, mais comme j’étais en lettres, je n’étais pas prioritaire. J’ai donc eu le choix entre Zaragoza et Cádiz. Ce qui est drôle, c’est que l’espace d’un instant, j’ai failli refuser. Il y a des moments dans la vie où le “oui” fait plus peur que le “non”. L’inconnu nous effraie. On a tendance à rester dans notre petit confort, dans ce qui nous est familier. J’avais fini par dire oui. La plus importante et la meilleure décision de toute ma vie.

Parfois je m’interroge : “et si j’avais dit non ?” Je n’aurais pas connu Erasmus, je ne l’aurais pas regretté puisque je n’aurais jamais su ce que c’était mais, bordel, heureusement que j’ai dit oui. Parfois, on ne s’en rend pas compte mais une seule décision peut faire basculer le cours de notre vie. Erasmus a bousculé la mienne à tout jamais.

Je dois dire que lorsque je suis arrivée à Cádiz, j’avais un peu peur. Je veux dire, on a tous eu peur au début, non ? Nouvelle ville, nouvelle vie. Seul(e), sans nos parents, sans personne qu’on connaît. Un peu comme une deuxième vie à construire à l’étranger. On ne sait alors pas que cette deuxième vie va venir se mêler sur celle qu’on avait avant. C’est plus qu’une bulle dans notre vie, c’est une étape qui va nous forger. On ne le sait pas. Au début, on pense qu’on va juste passer une bonne année. Mais on est idiots, on ne sait pas que si notre année se déroule comme doit se dérouler un Erasmus, on va en revenir changé. C’est ça, peut-être la véritable surprise.

Une fille m’avait abordée dans le couloir de l’université (une fille qui est maintenant l’une de mes meilleures amies). Très vite, on avait échangé nos numéros. C’est aussi ça Erasmus. Nous nous sentons “obligés” d’être sociables au début parce qu’on ne connaît personne et qu’on doit faire l’effort de l’être. J’ai toujours été très sociable, cette partie de l’Erasmus ne me faisait absolument pas peur. Très vite, on était sorties. Je me souviens très bien que c’était en octobre pour l’Oktoberfest (c’est assez ironique parce que je ne bois même pas). Lors de cette soirée, j’ai rencontré plein de monde, et surtout trois filles, trois des quatre filles avec lesquelles j’allais passer le reste de mon année, trois de mes plus proches amies aujourd’hui.

J’ai l’impression que c’est à ce moment-là (lorsque je les ai rencontrées) que mon Erasmus a réellement commencé. Dans la vie, il y a des moments clés, celui-ci en était un. Très vite, on a tout partagé. Très vite, on programmait pleins de choses ensemble. Très vite, on s’est confiées. Très vite, on se voyait tous les jours.

C’est toujours mieux de partager tout ça avec des gens qu’on apprécie, qu’on aime. C’est aussi ça Erasmus, une aventure, un partage, un échange, un apprentissage.

Témoignage d’une aventure humaine

Avant de partir, on ne le sait pas, on ne sait rien. On pense qu’on va se faire des amis mais que comme dans “la vraie vie”, il y aura des étapes, un processus, qu’on ne sera pas proches aussi vite. On a tellement tort. Au bout de deux mois seulement, vos amis deviennent très importants pour vous. On s’attache très vite. En Erasmus tout est décuplé. Si vous ne l’avez pas vécu, vous ne pouvez pas comprendre, c’est que vous faites partie de la deuxième catégorie, ceux qui ne sont pas partis. Vous vous dites sûrement qu’à notre place, jamais vous ne vous seriez attachés aussi vite. Vous vous trompez. Je me suis dit exactement la même chose. On s’est tous dit la même chose avant de partir et puis la réalité nous a éclatés à la gueule. On s’attache plus vite, très vite, trop vite.

Mes amis Erasmus sont très importants pour moi, ça sonne niais (et croyez moi je ne suis pas le genre de fille qui s’attache aussi vite et pourtant). Pendant un an, on apprend de nos amis, on se voyait absolument tous les jours. Croyez-moi, si je ne les voyais pas pendant deux jours, c’était comme si je ne les avais pas vues pendant deux ou trois mois. Avec ces amis, on vit absolument tout. Des choses extraordinaires comme banales, des premières fois comme des cinquièmes fois. Tout a une autre saveur. On fait les courses ensemble, on va à la plage ensemble (tous les jours parce qu’on a la chance d’habiter en face de la mer), on révise sur le sable, on fait ses fiches sur le sable, on fait des pique-niques. On va à Gibraltar, on se retrouve dans la voiture d’un drogué qui écoutait Monster (et cette chanson devient alors notre hymne), on se déguise en hippie chic pour le Carnaval, on va à la Feria de Jerez puis on rentre chez soi les pieds complètement explosés d’avoir trop marché, on chope le dernier train, on danse sur Buttons des Pussycat Dolls sur la plage à 4h du matin mais aussi on se baigne dans la mer vers 3 heures du mat et on rit. On rit si fort que la vie nous ait accordé un si beau cadeau : vivre cette année avec des gens qui deviennent notre famille. Mais on pleure aussi, on a des coups durs, notre famille nous manque, peut-être qu’on a même eu envie de rentrer chez nous, peut-être même qu’on a eu peur en pleine nuit, qu’on est tombé dans la rue, peut-être on a vécu une rupture. Dans chacun de ces moments, on n’était pas seul(e).

En Erasmus tout est plus intense, tout est plus beau. On profite de chaque instant parce qu’on sait que malheureusement tout ce rêve prendra fin.

La Tour Tavira de Cadiz © Sonia Malek

On travaille nos partiels aussi parce que oui, on doit réviser et croyez-moi qu’on le fait. Pour ma part, j’étudiais la littérature, en rapport avec ce que j’étudiais en France. Avant de partir, j’ai souvent entendu des profs dire que les universités allaient nous offrir nos bonnes notes, c’est un mensonge. Alors oui, les profs sont plus indulgents parce qu’ils ont conscience que ça n’est pas notre langue mais en aucun cas, ils vont vous mettre une bonne note si votre examen est une catastrophe. Croyez-moi que j’en ai vu des étudiants Erasmus avec des 2, des 3 même des 0. Pour ma part, j’avais une situation un peu particulière. Cette année-là, je préparais mon mémoire de lettres modernes. Je déconseille à quiconque de partir en Erasmus l’année de son mémoire, c’est deux fois plus de travail qu’un mémoire “normal” parce qu’on est complètement laissé à l’abandon, ne sachant pas réellement quoi faire. De plus, les chargés de mémoire ont l’impression que vous n’allez rien faire de l’année parce que tout le monde a dans la tête ce cliché de l’étudiant Erasmus : fête, baise, alcool, pas de travail. Je dois dire que c’est à moitié vrai. On fait la fête oui, on vit comme jamais on a vécu mais on travaille. Je dois dire aussi que beaucoup d’étudiants correspondent tout à fait au stéréotype de l’étudiant Erasmus. Mais pas tous.

Pour bien vivre un Erasmus, il faut être fidèle à soi-même, vouloir découvrir, ne surtout pas être fermé sur ce qu’on découvre et tout simplement VIVRE.

Je pensais que jamais ça ne m’arriverait. Je vous le promets. Je ne suis pas la seule. Beaucoup me l’ont dit. Si on nous avait dit un an plus tôt qu’on réagirait de cette façon, on aurait sûrement ri se foutant de la gueule de notre interlocuteur. Le plus dur dans l’Erasmus sont sans aucun doute les « au revoir ». Les adieux à vos amis que vous avez vus tous les jours. Vous ne savez pas quand vous allez les revoir. Vous savez que vous allez les revoir parce que, s’il vous plaît, ce sont vos amis Erasmus, votre famille. Ils feront partie à jamais de la plus belle expérience de votre vie alors bien sûr que vous allez les revoir. La vraie question, c’est : “quand ?”

Je ne pensais jamais pleurer en quittant quelqu’un. Tous ceux qui me connaissent vous diront que j’ai vraiment la larme difficile. Et pourtant, en l’espace de 15 jours, j’ai plus pleuré qu’en 25 ans d’existence. On pleure tous. C’est comme si vous perdiez une partie de vous et surtout cette séparation sonne la fin. La fin d’une année qui s’achève. On dit au revoir à notre vie, au revoir à notre ville. On dit alors bonjour à nos précieux souvenirs qui nous accompagneront tout le long de notre vie et surtout on dit alors bonjour à la dépression post-Erasmus.

Comment survivre à la dépression post-Erasmus ?

La mienne a débuté au moment où je suis partie de Cádiz. Je me souviens que mon père était venu me chercher en voiture. J’avais donc tout le trajet du retour pour penser à ce que je venais de quitter, à ce qui m’attendait en France, à ce que j’allais faire, mais aussi à la nouvelle personne que j’étais devenue. Erasmus nous permet de grandir. Mon frère m’avait alors prononcé une phrase qui voulait tout dire et qui résonne en moi encore deux ans après: “Sonia, c’est la première fois que je te vois pleurer pour rien.” Il a alors confirmé deux choses. D’une part, ce que je viens de vous dire, à savoir que je pleure vraiment difficilement, quand je le fais c’est que quelque chose m’a vraiment émue. D’autre part, que ceux qui n’ont pas vécu Erasmus ne peuvent pas comprendre ce qu’on quitte, ce qu’on laisse derrière nous. Ce “rien” était pour moi un “tout.”

Tout n’est pas tout rose dans une année Erasmus, je n’enjolive pas les choses. Évidemment qu’il y a des mauvais moments mais on les oublie pour seulement garder le meilleur. Le plus dur à vivre, c’est sûrement (et je ne sais pas pourquoi je dis sûrement tant c’est évident), de partir, de dire au revoir, cette dépression post-Erasmus. Ce moment où tout nous semble fade, tout nous donne envie de repartir. Notre famille, nos amis ne nous comprennent plus et minimisent même l’aventure que nous avons vécue, et même nos amitiés. Du genre “Non mais, tu ne vas plus les revoir, tu ne leur reparleras plus.” La vérité c’est que je parle plus avec mes amis Erasmus qu’avec les amis que j’avais avant de partir.

Parlons-en justement de ces amis que nous avons laissés. Ce qui est bien en partant à l’étranger c’est que le tri se fait seul. Il y a ceux qui suivent vos aventures, qui continuent à vous parler et qui sont vos amis à la vie, à la mort et il y a évidemment ceux qui vous lâchent. Bien sûr beaucoup ne vont pas vous suivre, beaucoup ne vont pas comprendre votre nouvelle façon de penser, votre nouveau “moi.” Beaucoup vont trouver que vous avez changé (vous n’avez pas changé, vous avez évolué) peut-être que vous ne serez pas sur la même longueur d’onde qu’eux. Mais ça n’est pas grave. J’ai toujours pensé que le tri sélectif était la meilleure chose en amitié. Il ne faut surtout pas s’accrocher à des souvenirs. Lorsqu’on dit “Tu te souviens quand on…”, c’est à ce moment que l’on sait qu’une amitié est finie. C’est triste mais il faut savoir l’accepter. Pendant mon Erasmus, j’ai perdu beaucoup de personnes que je considérais alors comme des amis, un mal pour un bien, ne sont restés dans ma vie que mes vrais amis. J’en ai peu mais je peux compter sur eux.

Le plus dur donc c’est le retour. On cherche à vivre ce qu’on a vécu en Erasmus mais nos amis sont occupés à vivre leur vie. Pire, ils nous disent (phrase que l’on déteste alors) : “On se voit pour prendre un café ?” Mais qu’est-ce que tu me racontes ? Pendant un an, on sortait en ne sachant pas ce qu’on allait faire ni quand et tu me proposes une date, un lieu concrets alors que tout ce que je cherche, c’est vivre ma vie, découvrir de nouvelles choses. Le retour est difficile. On est vite nostalgiques. On se crée une playlist avec les chansons qui symbolisent notre année à l’étranger, on regarde nos photos et nos vidéos, on se dit combien on se manque. Et puis, un jour, la douleur s’en va, seule. Maintenant quand on regardera nos photos, on ne sera plus nostalgiques mais heureux. Heureux d’avoir pu vivre tout ça avec ces personnes.

Tout passe. Ma dépression post-Erasmus est d’ailleurs partie de cette manière… En passant. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ose enfin raconter mon année Erasmus sans tomber dans la nostalgie extrême.

En Erasmus, le plus dur c’est dire au revoir© Sonia Malek

Comment j’ai fait ?

Déjà, par chance, une de mes meilleures amies que j’ai rencontrée en Erasmus vivait à l’époque (il y a deux ans) à une vingtaine de minutes de chez moi. Inutile de vous préciser que je l’ai vue tous les jours cet été là. Elle venait, on passait la soirée ensemble puis j’écrivais mon mémoire et puis on regardait un film une fois que j’avais terminé. On regardait Jumanji. Ça n’avait pas la même saveur qu’en Erasmus, on le savait mais au moins on était ensemble. On combattait notre nostalgie en étant ensemble. Ensuite, j’y ai survécue parce que j’avais prévu de repartir. Mon amie aussi repartait. Je partais vers de nouvelles aventures à Madrid et elle, en Argentine. On savait que notre petite escapade allait avoir une fin mais on a passé notre été ensemble. Je devais partir, il le fallait. C’était comme une nécessité. Je savais très bien qu’après avoir vécu en Espagne pendant un an, je ne pouvais pas rentrer en France. Je n’ai jamais été faite pour vivre en France d’ailleurs. J’ai surmonté ce qu’on appelle ce syndrome post-Eramus en me construisant une vie sur la lancée de mon Erasmus. J’ai grandi, j’ai muri. J’habite à Madrid, je vis ma vie, je la continue avec les souvenirs qui, jamais, ne quitteront mon esprit un seul instant.

Parfois j’ai l’impression que ma vie avant Erasmus était dans une autre vie, comme si j’étais une autre personne totalement différente de celle que je suis maintenant. Pourtant je suis restée la même. J’ai grandi, j’ai muri. Parce qu’il y a un avant et un après Erasmus. On ne revient pas d’Erasmus comme on est parti de chez soi

On apprend plus qu’une langue, plus qu’une culture. On se découvre soi-même.

L’Erasmus n’est pas une année dans une vie, c’est une vie dans une année. On en vit même plusieurs. C’est une année determinante pour la suite de ses études mais surtout de sa vie. Une étape très enrichissante qui te fait grandir, qui te fait accepter les autres parce que tu as cohabité avec des polonais, des belges, des italiens, des allemands des turques. Tu as découvert plus que la culture du pays où tu as habité, tu en as appris mille. C’est l’année qui détruit tes idées préconçues, qui te donne de nouveaux projets auxquels tu n’avais pas pensés, qui te confirme ce dont tu as toujours rêvé.

L’année qui m’a confirmée que je devais vivre en Espagne. L’année où j’ai rencontré des vrais amis, l’année où je me suis rendue compte que beaucoup de personnes n’en valaient pas la peine.

La plus belle année de mon existence.

Témoignage : Un an en Erasmus à Cádiz

par Sonia Malek Temps de lecture : 13 min
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