Parler, parler de tout, parler sans tabou. Camille Emmanuelle serait-elle autant prolixe que prolifique ? À en croire son CV, oui. Cette journaliste, auteure et rédactrice ne parle pas que de sexe. Culture érotique, culture porn, sexualités, féminisme et genre sont ses thèmes de prédilection. Et de spécialisation. Portrait d’une journaliste pas coincée des idées… et de la parole !
Un parcours riche de journaliste
À quoi mène Sciences Po ? À tout, si l’on en croit le parcours de la journaliste. Après des études de lettres (Hypokhâgne, Khâgne), puis de Sciences Po Grenoble et d’un DEA (Diplôme d’Études Approfondies, une année doctorale d’initiation à la recherche) de Politiques publiques, elle a enchaîné les expériences professionnelles. Après un stage à Radio France pendant ses études, elle a travaillé dans l’édition, l’industrie culturelle et dans la direction artistique. Pour finalement revenir au journalisme. D’ailleurs, elle déclare très rapidement dans l’entretien que nous avons eu avec elle : « J’ai toujours dit que je reviendrai au journalisme ». La question que vous vous posez tous est la suivante : comment passe-t-on de Sciences Po à du journalisme spécialisé sur la sexualité ? Camille explique que c’est un sujet qui l’a toujours intéressée, tant d’un point de vue intellectuel que personnel. Mais la culture et les artistes parlant ou représentant la sexualité l’ont également amené à suivre cette voie. Elle se réfère aussi bien à Prince qu’à Madonna et Jean-Paul Gaultier, figures de son adolescence. Camille Emmanuelle n’est donc pas arrivée là par hasard et pense qu’il y a une éducation sexuelle à inculquer aux adultes. De son propre aveu, elle fait également de son métier une sorte de combat féministe : « l’éducation sexuelle des jeunes et des adultes est fondamentale pour combattre les stéréotypes hommes-femmes. »
« On n’est pas sexophobe. »
Camille Emmanuelle
Une spécialisation journalistique : la sexualité
Ne cherchez plus : la Carrie Bradshaw française, c’est elle ! Cette série américaine créée par Darren Star en 1998 avait eu l’avantage de mettre en lumière une spécialité journalistique pas si connue que cela : la sexualité. Un domaine journalistique surtout dominé par les femmes aujourd’hui. Si Camille en est venue à ce sujet, c’est aussi pour contrer la lecture des magazines féminins qu’elle lisait étant jeune. On s’est posé la question : faut-il venir d’une famille particulièrement ouverte sur les questions de sexualité pour en parler dans le débat public ? La journaliste féministe explique que le sujet n’était pas tabou dans sa famille. « Dans ma famille, on ne parlait pas de sexe, mais plutôt de prévention. Ce qui est déjà bien ! Mais j’avais quand même des grandes soeurs, des référentes à qui parler des premières fois. » Grande soeur, c’est justement ce que souhaite être Camille de par ses articles : « je suis un peu comme une grande sœur qui aurait étudié toutes les sexualités. » Plus qu’une envie de vulgariser, c’est aussi un combat qui la pousse à écrire : « Je pensais qu’il n’y aurait pas d’avancée féministe si à un moment donné on ne parlait pas de manière plus franche de la sexualité ». Ainsi, il n’est pas question d’égalité salariale femmes-hommes dans ses articles. Ce qui l’intéresse avant tout aujourd’hui, c’est le lien entre les sexualités et le féminisme. Et il y a beaucoup de travail. Elle regrette qu’encore aujourd’hui « au coeur de la sexualité, il y a une une niche de stéréotypes : la manière de parler de la sexualité masculine et féminine dans les magazines féminins, dans la culture mainstream et dans la conversation de tous les jours. L’homme est très souvent représenté comme actif, performant, et sexuel, tandis que la femme est passive, cérébrale et romantique. Il s’agit d’une vision étriquée et hétéro-normée de la sexualité. » Elle assume donc son écriture gonzo, à la première personne, et le fait de pouvoir pratiquer l’humour, tout en parlant de sujets parfois encore tabous. En clair, il n’est pas question pour elle de tourner autour du pot dans ses écrits : « La sexualité féminine n’est pas toujours élégante, chic, féminine. Elle peut être violente, crado. Le sexe, c’est pas juste mignon. »
« Je pensais qu’il n’y aurait pas d’avancée féministe si à un moment donné on ne parlait pas de manière plus franche de la sexualité. »
Camille Emmanuelle
Les à côté du journalisme de Camille Emmanuelle
Intéressée par les questions sexuelles, la journaliste Camille Emmanuelle a récemment complété ses diplômes par une formation de sexothérapeute. De son propre aveu, elle est arrivée dans ce cursus avec « des gants de boxe », avec une vision politique et militante des questions de sexualités. Pourtant, elle lui a beaucoup apporté et lui permet d’aller « désormais plus loin dans les questions de l’intime, le rapport au corps […] Cela m’a permis de comprendre que je ne suis pas là pour convaincre, mais pour voir où la personne en est. Cette formation m’a fait évoluer dans mon rapport journalistique ». Pourtant, il n’est pas encore question qu’elle quitte sa plume pour devenir sexothérapeute. Les projets vont et viennent. C’est ainsi qu’après avoir co-créé Le Cabinet de Curiosité Féminine avec Alexia Bacoüel - un site centré sur les sexualités féminines et proposant également des ateliers de discussion - elle a finalement choisie de se consacrer uniquement à l’écriture. En plus d’écrire pour les magazines Le Plus-Nouvel Observateur, Brain Magazine et Les Inrocks, elle est prolifique dans le milieu du livre. Paris couche-toi là ! en 2014, Sexpowerment : le sexe libère la femme (et l’homme) en 2016, deux autres livres ne tarderont pas à paraître, dont prochainement Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite et Sang Tabou. On vous l’avait bien dit. En plus d’être prolixe, Camille Emmanuelle est donc bien prolifique ! Et quand on lui parle de l’avenir, elle se demande : « Est-ce qu’à 70 ans je continuerai à écrire là-dessus ? Je ne sais pas, je l’espère ». Réponse dans quelques années.