La question de la Shoah a été de nombreuses fois étudiée par les historiens et la littérature. Beaucoup se sont penchés sur cette période de notre histoire. Parmi eux, l’autobiographie de Primo Levi pourrait faire figure de favori. Si c’est un homme est en effet l’un des premiers témoignages sur cette horreur. L’Etudiant Autonome revient sur cet ouvrage tristement célèbre.
Si c’est un homme : une immersion dans l’horreur des camps de concentration
L’intérêt de Si c’est un homme réside dans la neutralité de Levi. Ce dernier n’exprime à aucun moment de l’aversion à l’encontre de ses oppresseurs. On assiste au contraire à une approche sociologique de son histoire. C’est ici l’un des éléments surprenants pour le lecteur, car celui-ci est constamment frappé par l’abjection d’Auschwitz. On apprend ainsi que des familles entières y sont déportées pour divers motifs : dénonciation, imprudence de leur part, volonté de rejoindre un proche, ou refus de mener une vie errante sous prétexte d’être juif.
Une fois arrêté, une longue descente aux enfers les attend ! Les futurs condamnés sont réunis ensemble et tentent d’échapper à leur situation comme ils le peuvent : certains prient, d’autres s’abandonnent à l’alcool, tandis que les plus responsables tentent de garder un semblant de dignité en conservant leurs habitudes du quotidien. S’en suit pour eux une déportation en train où ils se retrouvent entassés, tabassés, et victimes de la faim et de la soif, le tout sous les moqueries des Allemands. Et pourtant, Primo Levi est encore loin d’avoir livré la réalité des camps de concentration. Ces humiliations ne sont qu’un avant-goût de ce qu’ils subiront.
Arrivé au camp, les Juifs se déchargent de leurs effets personnels : vêtements, montres, papiers, et se retrouvent agglutinés dans un même endroit. Après leur avoir tondu les cheveux, les autorités nazies leur soumettent une nouvelle identité. Ils ne sont plus perçus comme des hommes, et le lecteur comprend très vite toute la signification du titre de l’œuvre. Pour eux, tout devient nouveau : vêtements, chaussures, et même… identité. Celle-ci est caractérisée par un chiffre tatoué sur leur bras gauche et l’attribution du nom d’« Haftling » (le détenu en allemand). Ainsi commence le processus d’aliénation des prisonniers qui doivent apprendre à se débrouiller seul à l’intérieur du camp. Chacun en vient à côtoyer quotidiennement la survie clandestine et le vol (y compris la nuit sous peine de se faire confisquer ses affaires).
Un processus de déshumanisation en marche
La souffrance fait aussi partie de la nouvelle vie des prisonniers. Ces derniers ont les pieds ensanglantés par leurs chaussures de travail, le ventre enflé, le visage bouffi, la peau jaunâtre et grise. Toutes ces dégradations physiques font que les prisonniers ne se reconnaissent plus après quelques jours de séparation. Dès lors, les relations entre les détenus ne sont plus les mêmes que dans la vie réelle. Il n’existe plus de « bien » ou de « mal » à Auschwitz car tout y devient normal… surtout la monstruosité. Ainsi, quand un juif meurt, c’est toujours dans l’indifférence totale. Personne ne se souviendra de lui. Au mieux, les autres prisonniers le mépriseront sous prétexte qu’il n’était pas influent. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : manque de relation à l’intérieur du camp, incapacité à s’adapter à ses lois, ou manque de communication faute de pouvoir parler allemand.
Le processus de déshumanisation se poursuit par un détachement complet avec le monde extérieur. Les détenus n’ont plus la même notion du temps. Vivre dans un futur proche permanent pour assouvir leurs besoins primaires est leur nouveau mode de vie : manger, boire, et se protéger du froid. Le souci de leur hygiène personnelle est quant à lui oublié. Seul le langage les unit, bien qu’il soit lui aussi limité : une barrière linguistique sépare les différentes nationalités, et renforce la solitude dans laquelle chacun vit.
Si c’est un homme va donc bien plus loin qu’un simple témoignage sur la Shoah. Cette œuvre pose une réelle question sur la condition de l’homme lorsqu’il est rendu à l’état primitif, d’où l’intérêt du titre du livre ! Le lecteur qui s’attend à une simple narration des camps de concentration sera surpris de ce qu’il découvrira. Pour autant, au vu de l’œuvre de Primo Levi, il est fort à parier qu’il en sortira marqué.
Découvrez un extrait en audio ci-dessous
Si c’est un homme
Primo Levi
4,60 euros
Mehdi Farcy