La rentrée littéraire continue et cette fois nous allons faire un tour chez Plon. Le premier roman de Meena Kandasamy, La colère de Kurathi Amman, sort jeudi. L’auteure nous amène en Inde, dans le petit village de Kilvenmani. Elle nous raconte l’histoire tragique du « plus grand massacre lié aux castes jamais connu en Inde ». Au-delà de ce récit d’évènements datant de Noël 1968, la jeune femme nous donne sa recette d’écriture.

L’écriture de Meena Kandasamy

La colère de Kurathi Amman est un roman très spécial, devrais-je même dire un antiroman ! Meena Kandasamy en parle en ses termes : « revenons à ce roman : tamoul dans son essence, anglais par la langue, libre de toute poésie et de toute prosodie, servi par une prose raffinée » (P22). Les premiers chapitres intitulés : « Notes sur la manière de raconter des histoires » et « Le titre malséant », montrent comment elle a construit son récit. Elle invite, à chaque instant, le lecteur dans son processus de création littéraire. D’une manière très directe, elle interpelle : « Je campe le paysage, en t’invitant, cher lecteur, à te joindre à moi » (P27). Meena Kandasamy regorge d’idées qu’elle évoque sans toujours les poursuivre : « Je pourrais me lancer dans une énumération explicative de toutes les techniques qui servent à raconter une histoire sur le mode du réalisme magique » (P34). Cette façon de narrer peut être très déroutante pour le lectorat. Les 40 premières pages du livre se trouvent être plus de la théorie littéraire que de la fiction romanesque. L’auteure semble s’en rendre compte à la page 65 : « On peut commencer ? Oui. Il est important de se lancer ». Si elle explique tout à son audience, elle ne se soumet pas pour autant : « l’époque où les auteurs présentaient leurs excuses aux lecteurs est depuis longtemps révolue » (P84). Meena Kandasamy, apparaît comme libre, débarrassée de tous standards : « mais qu’est-il arrivé aux règles du roman ? Elles sèchent sur ma corde à linge, là-bas » (P108).

L’histoire derrière la fiction

La colère de Kurathi Amman est un roman composé de quatre parties, et l’on peut dire que l’histoire commence réellement au bout de la troisième intitulée « Champs de bataille ». Pour Meena, l’histoire commence à la page 24 par « Il était une fois, dans un village d’importance, une vieille femme », mais pas pour le lecteur. Il s’agit d’ailleurs bien plus d’un récit collectif qu’individuel. L’auteure souhaite mettre en lumière le massacre du village de Kilvenmani datant du 25 décembre 1968. Au chapitre 9, un jeune rescapé, nous narre donc ce moment d’effroi où 42 personnes ont été sauvagement assassinés. La romancière décrit le comportement abject des propriétaires terriens envers leurs employés, la faim qui tenaille les habitants des quartiers pauvres et le combat des communistes pour ses intouchables. La femme dont il est question aux premières pages du roman, Maayi, n’apparaît vraiment qu’à la fin : « Tu te souviens qu’il était une fois, dans un minuscule village, une vieille femme qui a fait son entrée au tout début de ce roman ? » (P161). Elle fait partie des survivantes, elle ne porte pas l’histoire, elle en est seulement témoin. Lors du procès, le juge a considéré qu’« Une histoire à plusieurs voix n’est pas considérée comme fiable » (P191) et c’est en partie pour cela que les victimes ont été moins bien entendus que les coupables. Meena Kandasamy aurait pu prendre en compte pour son récit, cette réflexion. Peut-être que pour elle aussi, la pluralité des voix a desservi son histoire, car il est vrai que son livre demande un vrai effort dans sa lecture. Le lecteur est cependant content de savoir que justice a été rendue à la fin de l’histoire, en effet, « Mudivu kandachu, la boucle est bouclée », le responsable du massacre, Gopalakmishna Naidu a été assassiné, le 14 décembre 1980.

Tous les mardis et vendredis, nos rédactrices de la rubrique littérature vous parlent d’un livre qu’elles ont aimé. Ne tardez plus, allez découvrir nos autres chroniques !

Meena Kandasamy porte La colère de Kurathi Amman

par Aliénor Perignon Temps de lecture : 3 min
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