L’information partout, tout le temps est devenu le leitmotiv de notre génération. Alors que les chaînes d’information se vouent une guerre sans merci, l’infobésité est assurée par la sphère numérique. Cette multiplicité des canaux entraîne une concurrence malsaine qui pousse les rédactions à se surpasser en créant l’insolite quitte à ne pas vérifier leurs sources. À cela s’ajoute la pression des dirigeants qui sont prêts à tout pour ne pas voir leur image entachée. Fort heureusement pour nous, un petit comité d’irréductibles journalistes résiste encore et toujours à l’infobésité et à la malinfo !
Infobésité : L’immédiateté a-t-elle tué l’information ?
« Je m’excuse auprès des journalistes qui officient sur les plateaux de BFM (…), mais c’est cette réalité, de cette dictature de l’immédiateté, de l’information à tout prix, pas toujours vérifiée, d’ailleurs. Il faut inventer toutes les demi-heures une information. » Manuel Valls
Il semblerait que notre Premier Ministre ne soit pas le seul à déplorer la qualité des informations diffusées sur les chaînes d’information continue. En mars 2012, alors que les autorités sont encore en pleine traque de Mohamed Merah, BFM TV annonce son arrestation. La chaîne se rétracte quelques minutes plus tard et devient alors la risée de tous sur les réseaux sociaux. Un simple bad buzz à passer me direz-vous… Mais qu’en est-il des images diffusées en direct lors d’attentats ? Peuvent-elles avoir un impact sur la sécurité des victimes ? Dans son désir d’insolite, la chaîne s’est brûlée les ailes en interviewant la compagne d’un des otages du supermarché Cacher de porte de Vincennes en janvier 2015. C’est justement en direct qu’elle les a accusé d’avoir mis en danger la vie de six personnes en divulguant leur cachette. Ainsi, les terroristes auraient très bien pu entendre cette information et s’en prendre à eux.
Les médias se surpassent toujours plus pour gagner en visibilité. Mais il semblerait que leur audience soit à saturation de cette course de rapidité au péril des vies des victimes. Les internautes ont effectivement montré leur capacité à décrocher de cette “dictature de l’immédiateté” en s’organisant autour du hashtag #BrusselsLockDown le 22 novembre dernier. Une invasion de lolcats est venue suppléer aux traditionnels flash infos. Une bonne dose d’humour pour effacer l’anxiété provoquée par la violence des opérations antiterroristes et surtout éviter la fuite d’informations qui compromettraient l’action des autorités.
« Chacune et chacun d’entre nous a aujourd’hui accès par une diversité de canaux, de la radio à Internet, du téléphone portable à la télévision, à une multitude d’informations instantanées et en continu. Ce roulis ininterrompu donne le sentiment d’être toujours informé. Parfois, il assiège plus les citoyens qu’il ne les libère. Cette surinformation chasse l’information et sa hiérarchisation. » Patrick Le Hyaric
Malheureusement, les réseaux sociaux ne sont pas toujours aussi complaisants. Ils permettent également la transmission de rumeurs en tout genre. Au lendemain des attentats de Paris, le journal Le Monde a justement dressé sept conseils pour déjouer les rumeurs :
- Partez du principe qu’une information donnée sur le web par un inconnu est par défaut plus fausse que vraie.
- Fiez-vous plutôt aux médias reconnus, aux journalistes identifiés. Ne considérez pas pour autant que cela suffit à rendre leurs informations vraies. Dans des situations de crise comme celle-ci, l’information circule très vite et peut souvent s’avérer par la suite erronée. Il vaut mieux attendre que plusieurs médias donnent un même fait pour le considérer comme établi.
- Une photo n’est jamais une preuve en soi, particulièrement quand elle émane d’un compte inconnu. Elle peut être ancienne, montrer autre chose que ce qui est dit ou être manipulée. On peut le vérifier en entrant l’URL de l’image sur Google images ou sur le site TinEye.
- Vérifiez la date de l’information, image ou vidéo : sur les réseaux sociaux, il arrive qu’une publication ancienne « remonte » lorsqu’elle est très partagée. On risque de prendre comme une nouveauté un fait qui date de plusieurs mois.
- Un principe de base est de recouper : si plusieurs médias fiables donnent la même information en citant des sources différentes, elle a de bonnes chances d’être avérée.
- Méfiez-vous aussi des informations anxiogènes (type « ne prenez pas le métro, un ami a dit un autre ami que la police s’attendait à d’autres attentats ») que vous pouvez recevoir via SMS, messages de proches, etc, et qui s’avèrent fréquemment être des rumeurs relayées sans réelle source.
- Évitez les sources indirectes du type « la femme d’un ami d’un collègue » ou « un ami d’ami » ou prétendument institutionnelles mais très floues comme « quelqu’un qui travaille à la police/à la DGSI/dans l’armée ».
Malinfo : L’influence des grands patrons sur la transmission des messages
Source : L’Obs
Bernard Arnaud, Vincent Bolloré, Serge Dassault, Martin Bouygues, Arnaud Lagardère (pour ne citer qu’eux) font chaque jour la pluie et le beau temps dans l’espace médiatique. Leur stratégie : être à la tête d’un certain nombre de grands groupes médiatiques pour pouvoir mieux en contrôler le contenu. Vous l’aurez sans doute compris, les titres indépendants sont de plus en plus rares à trouver. Néanmoins, certains journalistes ont décidé de s’allier pour proposer une presse alternative et sans tabou. Parmi eux, des grands noms tels que Le Canard enchaîné, Charlie Hebdo ou encore Politis, mais aussi d’autres titres plus confidentiels comme Basta ! ou Reporterre.
« Il faut lutter contre la malinfo comme contre la malbouffe : elle nuit à la santé mentale et à l’environnement démocratique. Réclamons de l’info bio fabriquée par des journalistes élevés en plein air, sans conservateurs ! Il existe des formes alternatives de production de nourriture : les AMAP (Associations de Maintien d’une Agriculture Paysanne) : les consommateurs achètent un abonnement à un paysan, et reçoivent en échange des paniers de fruits et légumes de saison. Pourquoi pas des AMIP (Associations de Maintien de l’Information Progressiste), des sites d’info prépayés, comme Médiapart ? » Gilles Balbastre
La malinfo, fléau qui gagne un peu plus chaque jour l’espace médiatique, a retenu l’attention de nos députés qui ont voté une loi en comité réduit dans la nuit du 8 au 9 mars dernier. À son initiative, Patrick Bloche qui estime qu’il s’agit d’une avancée mais qu’elle est insuffisante pour pouvoir en découdre avec les industriels qui cherchent à passer outre l’indépendance de leurs journalistes. Dans les faits, cette loi aurait surtout un aspect dissuasif et ne réglerait pas le problème de concentration des médias.
Pour une information de qualité
Du temps, c’est ce qu’il faut aux journalistes pour produire une information de qualité. J’en veux pour preuve l’affaire des “Panama papers” qui a mobilisé des centaines de journalistes pendant près d’un an. Coordonnés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ils ont ainsi exploités une masse d’informations inédites qui a jeté une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux. Grâce à ce travail titanesque, nous avons pu découvrir que de nombreux chefs d’État, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.
Ne vous laissez plus influencer et informez-vous de façon raisonnée et utilisant les outils numériques à votre avantage ! Amateurs des trucs et astuces de nos aïeux, voici un conseil que m’a toujours prodigué ma grand-mère : ne vous contentez pas d’une seule source d’informations, préférez recouper les choses. Ainsi, en créant un panel des différents médias dans les marques pages de votre navigateur préféré, vous pourrez ainsi vous créer votre propre opinion sur l’actualité et ne plus être passif.
« Dans une société submergée de nouvelles, aussitôt avalées aussitôt oubliées, le fait d’acheter un journal ou de s’y abonner, de prendre le temps de le lire, de le savourer, de l’archiver parfois, est en soi un acte créatif. » Véronique Maurus
Et surtout, n’hésitez pas à encourager les titres indépendants afin de les aider à mener une lutte sans merci contre les diktats imposés par les grands groupes !
Aude Norguin