Des attentats à répétition qui frappent Paris, Bamako et le Moyen-Orient, des menaces qui se fondent et se confondent dans toutes les grandes villes d’Europe : Daech est sur toutes les lèvres et dans tous nos cauchemars. On s’est demandé pourquoi, mais puisqu’on n’arrivait pas à comprendre l’incompréhensible, on s’est tourné vers Tim Urban, le journaliste qui anime Wait But Why, et avec lui, on a au moins compris ce qui fondait le groupe terroriste le plus meurtrier de l’histoire. On vous l’a retranscrit.

Le matin du samedi 2 août, je suis monté dans un taxi à Erbil, capitale régionale de l’Irak kurde, et j’ai demandé au chauffeur de me conduire au camp de réfugiés de Khazir. C’était une chose très effrayante à faire.

La partie effrayante vient du fait que le camp de Khazir soit à l’extérieur des frontières d’une région principalement kurde et assez autonome, une des seules partie du pays qui soit sécurisée. La partie très vient du fait que le camp de Khazir, bien qu’à l’extérieur des frontières kurdes, soit tout de même une zone actuellement contrôlée par la Peshmerga – les combattants de l’armée kurde.

L’Irak est un pays effrayant depuis un moment maintenant, pour un certain nombre de raisons, mais il est actuellement effrayant-en-italique de par le groupe terroriste que nous avons tous appris à connaître – Daech.

Le chauffeur de taxi, moi, et nos deux culs tremblants nous sommes donc dirigés vers Khazir. Après environ 45 minutes, nous avons traversé le checkpoint, ce qui signifiait que nous quittions la région kurde, et quelques minutes plus tard, alors que le point bleu de mon téléphone commençait à s’approcher un peu trop dangereusement de Mossoul pour moi, j’ai regardé à travers la fenêtre et j’ai vu le camp.

Nous sommes entrés, après avoir passé un bon moment à convaincre les autorités du camp (et nous-mêmes) que je n’étais qu’un journaliste. Je n’avais pas vraiment de plan, alors j’ai commencé à marcher le long des longues lignes de tentes, en me disant que les 48°C de température dont j’avais souffert toute la semaine étaient quasiment létaux ici, où la seule échappatoire était une toile de tente.

J’ai très vite rencontré un homme qui s’appelait Kamil et qui baragouinait un peu d’anglais, et il m’a invité dans la tente de sa famille. Après avoir un peu discuté avec lui, j’ai appris qu’il s’agissait en fait de la tente de plusieurs familles, et que 12 personnes qui y vivaient – cinq adultes et sept enfants. Il y avait assez d’électricité pour une télé et un ventilateur, et la plupart des matelas étaient stockés sur le côté.

Il m’a expliqué que 12 personnes, dans une tente, c’était assez commun, au camp, et m’a montré que sa tente allait même bientôt en héberger 13, puisqu’une des habitantes était enceinte jusqu’aux yeux. Kamil est originaire de Mossoul, comme tout le monde au camp. Mossoul est la deuxième plus grosse ville d’Irak, à une cinquantaine de kilomètres à l’Est du camp seulement – et, depuis le 9 juin, aux mains de Daech, qui en a fait son bastion. Après avoir pris la ville d’assaut, l’une des premières missions menées par Daech a été de rassembler les fonctionnaires du gouvernement et de les exécuter. Kamil, officier de police, a eu la chance de quitter la ville avec sa famille avant de se faire attraper. Quand je lui ai demandé s’il pensait retourner à Mossoul un jour, il a secoué la tête et a dit « Fuck Mossoul ». Dès qu’il a appris que j’allais écrire un article sur tout ce que j’avais vu en Irak, il m’a conduit hors de la tente pour me guider dans une visite spéciale « Ah d’accord alors je vais te montrer exactement à quel point tout est bouleversant ici pour que tu puisses l’écrire et le dire à tout le monde ». Nous sommes passés devant le robinet commun, seule source d’eau potable, et il m’a dit que les gens utilisaient aussi cette eau pour se laver, puisqu’ils n’avaient pas eu accès à une douche depuis leur arrivée.

Il m’a montré plusieurs bébés qui étaient nés au camp.

Nous sommes entrés dans un paquet de tentes : une dont le ventilateur avait été volé (souvenez-vous qu’il fait 58°C), et une autre qui hébergeait 15 personnes. Il m’a montré l’endroit où la canalisation des toilettes communs rejetait les déchets qui s’écoulaient dans le camp. Il m’a dit que beaucoup de familles n’avaient pas assez de nourriture, que les gens étaient de plus en plus souvent malades, et qu’ils ne pouvaient pas être traités. Et ces mêmes gens vivaient une vie normale dans leurs maisons normales deux mois plus tôt. Vous vous souvenez du jour où je me suis plaint de quoi que ce soit ? C’était idiot. Quand Kamil m’a présenté un homme dont les deux frères avaient été exécutés par Daech, je pensais que c’était le grand final horrifique de la visite guidée, mais il n’avait pas encore fini. Il m’a emmené dans une autre tente et il m’a présenté la femme qui y vivait. Il lui a expliqué que j’étais son nouvel ami écrivain : sans perdre un instant, elle m’a donné cela.

Je ne savais pas ce que je tenais au creux de la main, mais je sentais que c’était quelque chose de mauvais, et je n’avais pas envie de demander. J’ai demandé. Il a pointé du doigt un petit garçon à travers la pièce, et a expliqué que je tenais une partie de son crâne. Le garçon avait 8 ans et s’appelait Mahomet. Leur maison avait été bombardée dans le milieu de la nuit pendant les premiers jours de l’assaut de Daech, puis frappée par des avions militaires gouvernementaux. Je n’ai jamais su pourquoi, ni s’ils étaient spécifiquement ciblés. Mais le résultat final était que ce petit garçon de huit ans en pleine santé –

- Est maintenant ce petit garçon de huit ans atteint de lésions cérébrales, à moitié sourd, aveugle d’un œil, avec des difficultés digestives.

Le but de cet article est de comprendre pourquoi cela est arrivé à ce petit garçon, pour vraiment comprendre ce qui se passe dans ce pays et dans le nôtre – mieux qu’on ne le comprend maintenant en tout cas. Et si nous voulons vraiment comprendre, il faut repartir très, très loin – en 570.

Un vieux schisme

En 570, un bébé au long prénom naît dans une famille très respectée de La Mecque, une ville située sur la côte Ouest de l’actuelle Arabie Saoudite - Abū al-Qāsim Muḥammad ibn ʿAbd Allāh ibn ʿAbd al-Muṭṭalib ibn Hāshim. Aujourd’hui, il est plus connu sous le nom de Mohamet. Mohamet n’a jamais connu son père, mort six mois avant sa naissance, et à peine sa mère, décédée à ses six ans. Après la mort de sa mère, Mahomet vit chez son grand-père, qui meurt deux ans plus tard. Il est confié à son oncle, un marchand, qui devient son mentor, et fait de lui un marchand. On ne sait pas grand-chose de la vie de jeune adulte de Mahomet, mais on est presque sûrs qu’à 25 ans, il se marie à une veuve de 40 ans qui s’appelle Khadijah (et qu’il aura de nombreuses autres épouses après). Ils font six enfants (quatre filles et deux fils), dont un seul parvient à survivre jusqu’à l’âge adulte – sa fille Fatimah. À l’aube de ses 40 ans, la vie de Mahomet prend une tournure étrange.

Chaque année, il va à la montagne quelques semaines pour être seul, pour méditer. Pendant l’une de ces retraites solitaires, en 610, Mahomet reçoit pour la première fois la visite de l’Ange Gabriel. Selon l’Histoire, Gabriel lui récite des messages que Dieu lui a confiés, et Mahomet les mémorise. Au cours des années suivantes, Gabriel continue à rendre visite à Mahomet et à lui délivrer ces messages, et Mahomet continue à les mémoriser pour, plus tard, les réciter à ses disciples, qui les écrivent et en font le Coran. Trois ans après la première visite de Gabriel, en 613, Mahomet commence à prêcher ces messages à son public, dans sa ville natale, La Mecque. Ça ne se passe pas très bien. À l’époque, La Mecque est largement composée de tribus polythéistes qui vénèrent des dieux et déesses en rapport avec la nature, et l’un des plus importants messages de Mahomet est de n’honorer qu’un seul dieu : selon lui, tout idolâtre de tout autre dieu doit être détruit – un message gênant pour tout le monde.

Les gens commencent à réagir violemment à l’influence croissante de Mahomet, tuant certains de ses partisans, et ils auraient certainement tué Mahomet aussi s’il ne venait pas d’une famille riche. En 622, quand Mahomet apprend l’existence d’un complot contre lui, il décide de fuir La Mecque avec ses disciples et se dirige vers la ville la plus proche, Médine. Ce voyage s’appelle l’Hégire dans la tradition musulmane, et il est célébré le premier jour de l’année musulmane.

Mahomet et ses partisans passèrent les huit années suivantes à se défendre contre les attaques provenant de La Mecque et d’autres lieux, et furent eux-mêmes souvent impitoyables avec ceux qui les menacèrent ou qui refusèrent de se convertir. Ce que beaucoup ignorent, c’est qu’en plus d’être une figure spirituelle, Mahomet était, en substance, le Général d’une armée de partisans et un stratégiste extrêmement efficace pour croître et conserver son titre face à une compétition hostile. Les choses se gâtent en 625, quand les habitants de La Mecque, qui perdent de plus en plus de prestige et de soutien à mesure que les disciples de Mahomet deviennent nombreux, lancent un assaut à Médine, et vainquent les musulmans. Mais cinq ans plus tard, Mahomet, accompagné d’une armée de 10 000 hommes, marche sur La Mecque et la conquiert pour de bon. Au moment où Mahomet meurt, en 632, l’Islam a déjà conquis tout la péninsule arabique.

Un monde musulman scindé


Le monde Musulman profite environ 20 ans de son unicité jusqu’à ce que la mort de Mahomet y mette un terme pour toujours. Le problème, c’est que Mahomet n’a pas nommé de successeur avant de mourir, ou s’il l’a fait, il ne l’a pas clamé sur tous les toits. Et comme il n’a aucun fils vivant, il n’y a pas de réponse évidente. Voici donc ce qu’il s’est passé.

Le groupe A pensait que Mahomet voulait que l’élite des membres de la communauté musulmane choisisse un leader approprié, ou un Calife, et qu’une fois le Calife mort, l’élite déciderait du leader suivant, etc. Et le groupe A décida qu’un bon premier Calife pour succéder à Mahomet serait le père d’une de ses épouses, Abu Bakr (qu’on appellera Abu). Le groupe B n’était pas d’accord. Ils pensaient que Mahomet leur avait dit que seul Dieu pouvait choisir son successeur pour diriger le monde musulman, et que c’était une affaire de famille. Pour eux, tous les signes désignaient le cousin de Mahomet et époux de sa fille Fatimah, Ali ibn Abi Talib (Ali). Le groupe A, plus fort en nombre, remporta la bataille. Donc le beau-père, Abu, devint Calife, pendant que le gendre, Ali, observait la scène depuis la ligne de touche, et que le groupe B bouillait.

Quand Abu mourut, malade, deux ans plus tard, un autre ami de Mahomet, Omar, prit sa place, nommé par Abu avant sa mort. Omar régna dix ans avant d’être assassiné par les Perses qu’il venait de conquérir. Abu avait également nommé le successeur d’Omar, Uthman, qui régna 12 ans avant d’être à son tour assassiné. Pendant tout ce temps, le groupe B restait tranquille, impuissant et frustré. Et puis l’élite décida que le prochain et quatrième Calife serait Ali – le premier choix du groupe B – et pendant environ deux secondes, tout le monde était content. Cinq ans plus tard, Ali est assassiné, et quand son fils aîné Hassan devient le cinquième Calife, il est rapidement écrasé par une force rebelle agressive dirigée par Muawiya, qui contraint Hassan à abdiquer, et devient le sixième Calife – et les groupes A et B ne se réconcilièrent plus jamais. Alors que Muawiya apparaît comme le premier d’une longue dynastie de Califes, le groupe B a une version quelque peu différente.

Pour eux, les leaders sont plus spéciaux que des Califes simplement élus – ce sont des Imams choisis par Dieu, et de leur point de vue, avec trois califats de retard, leur premier Imam fut finalement porté au pouvoir quand Ali fut choisi pour le job. Son fils aîné, Hassan, fut leur second Imam, et quand Muawiya lui botta le cul, le groupe B apporta son soutien à Hussein, le fils cadet d’Ali – leur troisième Imam. Hussein, le troisième Imam du groupe B, finit par être décapité par Yazid, le septième Calife du groupe A (successeur de Muawiya), et donc le groupe B fit du fils d’Hussein leur quatrième Imam, alors que le groupe A continuait d’ignorer le groupe B et d’instaurer ses propres Califes.

C’était il y a plus de 1300 ans, et pourtant, le monde musulman est toujours divisé sur cette question, et le conflit actuel au Moyen-Orient est principalement centré sur cette vieille discorde. Le groupe A sont les Sunnites, et le groupe B sont les Chiites. Les tensions actuelles entre Sunnites et Chiites prennent racine dans beaucoup d’éléments divers, mais ce qui s’est passé au VIIème siècle est au noyau de tout conflit contemporain. Les musulmans Sunnites croient en leur ligne de Califes, et ils ne les croient pas choisis par Dieu ; quand les musulmans Chiites rejettent les trois premiers Califes et croient, à la place, en la lignée d’Imams choisis par Dieu, en commençant par Ali, puis son fils et le troisième Imam, Hussein. Les deux groupes sont d’accord sur le fait que Mahomet soit le prophète originel, tous deux suivent les Cinq Piliers de l’Islam, et tous deux voient le Coran comme un livre sacré – mais les Chiites n’acceptent pas incontestablement tous les textes du Coran, parce qu’ils pensent que certains d’entre eux n’ont pas été racontés par des Imams. Voici un graphique récapitulatif pour clarifier toute cette confusion.

Rien de tout ça n’arrêta les premiers Califes dans leur conquête du monde – en 750, seulement 140 ans après la première révélation de Mahomet, le monde musulman avait repoussé ses frontières jusqu’à atteindre une large partie de ce qu’il comprend aujourd’hui.

Mais alors que l’islam balayait la planète, ce schisme originel n’a fait que s’épaissir – et il n’est pas prêt de disparaître.

Des lignes droites

La terre d’Irak a le surnom le plus cool du monde – Le Berceau de la Civilisation – et ce n’est pas un hasard. Difficile de trouver plus impressionnante que l’Histoire antique d’Irak : c’est en Mésopotamie – une bande de terre fertile entre le Tigre et l’Euphrate – que naissent l’écriture cunéiforme, la roue, quelques un des premiers bateaux à voile, les calendriers, les cartes, les écoles, l’heure de 60 minutes et la minute de 60 secondes.

3000 ans plus tard, quand Alexandre Le Grand conquiert la moitié du monde, il choisit de faire de cette terre sa capitale, et choisit notamment Babylone pour ses trésors et son emplacement crucial entre l’Europe et l’Asie. 1000 ans après ça, la grande dynastie musulmane Abbasside construit Bagdad sur la même terre pour en faire la capitale du monde musulman et, jusqu’à ce que les Mongols la piétinent, Bagdad régna sur le monde comme une plaque tournante mondiale de la culture et du commerce.

Pendant 500 ans, Bagdad fut la plus grande ville du monde. L’Irak possède une des terres les plus riches du monde en termes d’Histoire. La nation d’Irak, en revanche, a été créée par deux têtes de gland avec un crayon et une règle, et son Histoire est essentiellement désagréable. Au début du 20ème siècle, la terre d’Irak faisait partie de l’Empire Ottoman depuis 400 ans, et plusieurs groupes ethniques et religieux y cohabitaient, pour la plupart libres de se tenir éloignés les uns des autres. Mais quand l’Allemagne & Cie s’opposèrent à la France, au Royaume-Uni et à la Russie durant la Première Guerre Mondiale, l’Empire Ottoman prit part dans le « & Cie », ce qui les mena tout droit dans le camp des perdants. Bye bye, Empire Ottoman.

Durant la guerre, Mark Sykes (Royaume-Uni) et François Georges-Picot (France) se rencontrèrent avec un crayon, une règle et une bouteille de whisky, étalèrent une carte devant eux, et éclatèrent l’Empire Ottoman en nations, en déterminant l’influence que leurs deux pays ainsi que la Russie pourraient exercer s’ils sortaient vainqueurs de la guerre. Concernant le problème « plusieurs ethnies / groupes religieux » et les frontières de séparation qui s’étaient développées entre eux au cours des siècles, il est de notoriété publique que George-Picot remarqua « bah, on s’en fout », et l’on a coutume de citer Sykes, un crayon en main, disant « J’ai envie de tracer une ligne entre le e de Acre et le dernier k de Kirkuk » (étonnamment, l’une de ces citations est en fait avérée). Et voilà ce qu’ils dessinèrent.

Le truc, quand on dessine des frontières en utilisant une carte, un crayon et une règle (et, en plus, du whisky), c’est que c’est une très mauvaise manière de créer des frontières. Quand on observe les frontières organiquement créées autour du monde – celles qui ont été formées au fur et à mesure par les populations locales, fondées sur les divisions ethniques et religieuses, et souvent démarquées par des montagnes, des rivières, ou toute autre barrière naturelle – on voit qu’elles sont sinueuses et irrégulières. Ce qui est une ligne droite sur une carte, une frontière claire et satisfaisante sur le papier pour des pouvoirs impériaux qui essaient de garder les choses propres et simples pour eux, est un désastre complet sur le sol à l’autre bout du monde, où tout se passe pour de vrai. Quand les frontières sont dessinées de cette manière, deux mauvaises choses surviennent :

  • les groupes ethniques et religieux sont séparés en plusieurs pays distincts ;
  • des groupes différents, et souvent hostiles, sont fourrés ensemble dans une nation, et sont sommés de partager des ressources, de bien s’entendre, et de se lier au nom d’une fierté nationale alors que la nation vient seulement de naître – ce qui conduit inévitablement à ce qu’un groupe prenne le pouvoir sur les autres, les oppresse, entraînant ainsi des rebellions sanglantes, des coups d’état et une violence sectaire. Ce n’est pourtant pas si compliqué.

Mais comme ce n’était pas vraiment leur problème, Sykes et George-Picot se sont fait plaisir, et au cours des quelques années suivantes, des frontières précises furent dessinées, et donnèrent naissance à l’Irak qu’on connaît aujourd’hui, à la Turquie, la Syrie, la Jordanie, la Libye et le Koweït. Voici donc la nouvelle situation de l’Irak. Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait poser problème ici …

Un couvercle bien serré

Pour chacun de vous qui considérerait l’idée de créer une nation avec des groupes ethniques et religieux tendus qui ne s’aiment pas, j’ai étudié ce merdier pendant un mois, et j’ai quelques conseils qui pourraient bien vous aider.

Votre nouvelle nation est comme une soupe bouillante à l’intérieur d’une cocotte-minute, qui risque de déborder et de se déverser partout dans la cuisine si vous n’avez pas l’outil crucial pour garder le tout dans la casserole : un couvercle bien serré. L’équivalent du couvercle serré pour la nation peut être soit un pouvoir occidental hégémonique et puissant, soit un dictateur qui règne d’une main de fer, doublé d’une machine militaire terrifiante qui exécute tous ses caprices – sans l’un ou l’autre, votre nation se désagrégera. Envoyez-moi un mail si vous avez d’autres questions (ou pas). Cette nouvelle nation d’Irak combinait donc le premier ingrédient (Sunnites et Chiites vivant au même endroit) et le second ingrédient (une frontière qui les force à vivre ensemble, avec un groupe important de Kurdes). Résultat : une cocotte-minute.

La situation était tendue dès le début, quand les irakiens se révoltèrent contre l’occupation anglo-saxonne en 1920. Une fois l’Irak indépendante et le couvercle britannique dé-couvrant la marmite, une coalition de chefs militaires prit le relai, réprimant un certain nombre de révoltes, et se tuant les uns les autres de temps en temps.

En 1968, le Parti Sunnite Baas reprit le contrôle, sous la direction du nouveau Président Ahmed Hassan al-Bakr et de son ambitieux Vice-Président et Général, Saddam Hussein. En 1979, l’influence de Saddam s’était considérablement accrue, au point où il menait plus ou moins la barque, et finalement, il proposa à al-Bakr « Tu sais ce qui peut être cool ? Le meurtre ou la retraite. Tu vois ce que je veux dire ? Je me suis dit que peut-être l’un des deux te tenterait ? Tu peux même choisir ! » et al-Bakr abdiqua, offrant à Saddam Hussein – le couvercle le plus serré du monde – le pouvoir. Beaucoup de choses craignent sur les 24 ans de règne de Saddam. Il commença comme un dictateur classique : il appela tous les anciens membres du gouvernement, fit l’appel de tous ceux qu’il pensait être déloyaux, et emmena 22 d’entre eux dans le jardin pour les exécuter. Il légalisa quasiment les crimes d’honneur – cette tradition qu’on trouve parfois dans des lieux dirigés par la Charia, où un homme peut tuer une femme parente si elle déshonore sa famille, sans avoir à répondre de la loi. Et il mit au monde Oudaï Hussein qui fut, littéralement, la pire personne au monde :

  • Oudaï était le fils aîné de Saddam, et en tant que tel, il devait hériter de trône de fer de son père.
  • Quand Oudaï était jeune, Saddam les emmenait, lui et son frère Qoussaï, regarder des prisonniers se faire torturer puis exécuter. Oudaï se délectait du spectacle.
  • Vous voyez le gosse odieux, méchant, super-riche du lycée ? Imaginez qu’il a le pouvoir de vous faire battre par ses gardes-du-corps, ou de vous faire tuer, ou de vous tuer, vous et votre famille, d’un simple claquement de doigts. C’est Oudaï.
  • À l’université, quand Oudaï remarquait de jolies filles, il demandait à ses gardes-du-corps de les emmener jusqu’à sa chambre où il les violait et, parfois, les faisait assassiner.
  • Il allait parfois en boîte, et s’il voyait une femme très attirante qui dansait avec un homme, ça le rendait immédiatement jaloux : l’homme était condamné à mort.
  • Une fois, il a tué un homme qui refusait de le laisser danser avec sa femme.
  • Il se tenait souvent sur son balcon avec ses jumelles, à l’affût de jolies filles, qu’il demandait à ses gardes d’aller chercher. Un jour, il captura des filles de 12 et 14 ans, et leur père n’eut d’autre choix que d’accepter, pour ne pas que toute la famille soit assassinée.
  • Il était obsédé par la torture, et il aimait expérimenter ses différentes formes, y compris utiliser une vierge de fer qu’il possédait, et enfermer des gens dans une pièce avec son tigre affamé.
  • Il assassina l’ami le garde-du-corps de son père car il le suspectait de présenter des prostituées à son père.
  • Il a tué un homme parce qu’il ne l’avait pas salué.
  • Même Saddam avait les jetons face à la cruauté et l’impudence de son aîné, à tel point qu’il désigna son fils cadet comme successeur à la place d’Oudaï.
  • Cela rendit Oudaï incroyablement jaloux, et il s’engagea dans de petites vengeances mesquines d’une cruauté absolue, comme capturer la petite-amie de son frère, la violer, et la marquer d’un « O » au fer rouge.
  • Pour l’occuper, Saddam nomma Oudaï à la tête du Comité Olympique. Oudaï tortura donc les athlètes dont les performances n’excellaient pas.
  • Oudaï était connu dans tout l’Irak et universellement exécré par l’ensemble de la population.
  • Oudaï et Qoussaï furent tous deux tués dans un feu, lors d’un combat contre les troupes américaines en 2003. Personne ne versa de larme.

Malgré la venue au monde d’Oudaï, les pires crimes de Saddam arrivèrent plus tard, pendant les guerres qu’il lança et leurs conséquences horrifiantes. Inquiet que la Révolution Islamique en Iran (1979) puisse inspirer une rébellion dans la large majorité Chiite d’Irak, Saddam se lança dans une guerre de huit ans contre l’Iran, qui tua plus de 100 000 Irakiens (certains évoquent 500 000 morts).

Les kurdes d’Irak, qui n’avaient jamais voulu faire partie de l’Irak, saisirent l’opportunité offerte par le chaos pour essayer de former leur propre pays autonome, recevant à ce moment le soutien des Iraniens. La tentative fut un échec, et vers la fin de la guerre, Saddam s’embarqua dans un génocide systématique du nord Kurde – ce qu’on connaît aujourd’hui comme le Génocide Kurde.

L’horreur de Saddam atteignit son paroxysme en 1988, alors que la guerre s’essoufflait, quand les résidents de la ville d’Halabja furent assaillis par une douce odeur de pommes après que des avions de guerre survolèrent la zone, et les habitants et les animaux commencèrent à tomber comme des mouches dans toute la ville, empoisonnés au gaz. Ce gazage causa plus de morts que le 11 septembre. Le Génocide Kurde, dans sa globalité, tua entre 50 000 et 180 000 personnes.

Saddam eut à peine le temps de faire un tour au petit coin après la guerre d’Iran, qu’il envahissait déjà le Koweït pour profiter de ses délicieuses réserves de pétrole, et se lança ainsi dans la Guerre du Golfe.

Comme je l’ai appris grâce à l’une de mes profs d’histoire, ça ne s’est pas très bien passé pour Saddam, et à nouveau, les groupes oppressés d’Irak, les Chiites et les kurdes essayèrent de profiter de la situation en tentant de le renverser. Saddam répliqua en resserrant davantage le couvercle et en écrasant les rebellions, tuant entre 80 000 et 230 000 personnes dans le processus (certains suggèrent que l’administration de George H. W. Bush induisit les Kurdes et les Chiites en erreur en leur laissant croire que les États-Unis soutiendraient leurs révoltes et les protègeraient si nécessaire). Saddam était un dirigeant d’une violence inouïe, mais pour la plus grande partie de son règne, sous sa poigne de fer, l’Irak était un pays stable. Nous savons tous ce qu’il se passe ensuite.

Le couvercle saute

On peut dire ce qu’on veut du gouvernement Bush et de leur décision d’envahir l’Irak et de renverser Saddam, mais une chose est sûre : ils avaient vraiment, vraiment tort quand ils ont cru que ce serait une guerre rapide et facile.

Ils savaient qu’ils ôtaient un couvercle, mais ils semblaient croire qu’il y avait, sous le couvercle, un Tupperware plein de cookies, et pas une cocotte-minute. Et leur plan de remplacer le couvercle en fer forgé par une feuille fraîche de démocratie-cellophane aurait bien marché sur un Tupperware à cookies. Mais pas sur une cocotte-minute.

Donc les États-Unis se retrouvent soudainement embourbés dans le chaos pour 8 ans, essayant de régler une situation qu’ils n’étaient pas préparés à régler, et qui serait au final le problème des Irakiens, pas le leur. Aussi malheureuses et sanglantes les années d’occupation américaines furent-elles pour tous ceux qui y furent impliqués, en étant présents, les américains agissaient comme une sorte de couvercle. Quand ils étaient là, rien de vraiment mauvais ne pouvait arriver. Puis, en 2011, les États-Unis quittèrent le territoire.

Des ingrédients explosifs

L’instabilité est la terre fertile des mauvaises graines, et quand les États-Unis quittèrent le territoire, l’Irak avait un nouveau Premier Ministre, un nouveau gouvernement, une nouvelle constitution mal connue, ainsi qu’une armée amateur, tout juste entraînée – une situation peu stable.

L’horloge du pouvoir venait de sonner pour la première fois depuis des dizaines d’années. La population irakienne était composée à 55% d’Arabes Chiites, à 18% d’Arabes Sunnites, et à 21% de Kurdes (et à 6% de diverses ethnies). Et malgré le fait qu’ils soient le plus minoritaire des trois groupes, les Arabes Sunnites avaient pris le pouvoir sur les autres groupes pendant plus ou moins toute l’Histoire du pays. Un gouvernement Sunnite et une majorité Chiite oppressée était tout ce que les irakiens connaissaient. Et soudainement, en 2006, le nouveau gouvernement est conduit par al-Maliki, un Chiite très rigide.

Un bon historien suggérerait qu’il serait probablement sage qu’al-Maliki inclue les Sunnites, en dépit du passé, puisque, comme remarqué plus haut, le pays n’était pas dans une situation stable. Al-Maliki fit l’exact contraire, arrêtant les dirigeants Sunnites, discriminant les civils Sunnites, et ciblant disproportionnellement les Sunnites pour violences et tortures. Tout cela exacerba l’instabilité en rendant le gouvernement moins unifié et moins compétent, enrageant les populations Sunnites, et affaiblissant la loyauté d’une armée dont la moitié haïssait déjà son gouvernement.

Le sentiment anti al-Maliki était si proéminent que des Sunnites normalement pacifiques se trouvèrent à sympathiser, et même à soutenir les violences des terroristes anti-gouvernementaux. Le passage de pouvoir des Sunnites aux Chiites a de plus vastes implications. Si vous regardez le monde islamique dans son ensemble, il est clair que l’Islam Sunnite est majoritaire (environ 90 %), et que l’Islam Chiite (environ 10%) est une petite branche parallèle.

Mais il faut regarder le cœur du Moyen-Orient de plus près pour voir pourquoi les choses sont plus compliquées. Voilà ce à quoi le Moyen-Orient ressemblait quand Saddam était au pouvoir, et ce à quoi il ressemblait une fois qu’al-Maliki a pris les rênes.

Soudainement, les Chiites dirigent des pays de l’Iran jusqu’à la Méditerranée, créant un axe de pouvoir Chiite. C’est une bonne nouvelle pour la plus grande nation Chiite du monde, l’Iran, mais ça angoisse carrément l’Arabie Saoudite, la nation Sunnite la plus puissante de la région. L’Arabie Saoudite et l’Iran se sont donc essentiellement engagés dans une Guerre Froide, rivalisant pour plus de pouvoir, provoquant des conflits comme la Guerre Civile Syrienne, ou la situation actuelle en Irak : des guerres par procuration pour faire pencher la balance en leur faveur. C’est pour ça que l’Iran veut que Daech (un groupe Sunnite) disparaisse, et c’est pour ça que les États-Unis et l’Iran sont parvenus à se mettre d’accord sur quelque chose (mais pour des raisons différentes). C’est aussi la raison pour laquelle le bruit court que les saoudiens auraient financé les mouvements de résistance Sunnite en Syrie et en Irak, et peut-être même donné des fonds à des groupes comme Daech (un fait que l’Arabie Saoudite nie).

Par ailleurs, l’instabilité simultanée de l’Irak et de la Syrie, deux pays adjacents, est un facteur supplémentaire dans l’engendrement infernal des conflits – cela créé une frontière instable, et en même temps, une situation où le front anti-terroriste est disjoint et dénué d’une Histoire commune à défendre. Cela permet, en plus, à un groupe terroriste, de se cacher dans un pays pour échapper aux autorités de l’autre.

Ajoutez à cela des pouvoirs occidentaux qui, d’habitude, fournissent un couvercle de loin quand la situation devient critique au Moyen-Orient, mais qui se montrent très frileux dans ce cas précis, puisqu’ils viennent juste de sortir d’une guerre difficile dans le périmètre et qu’ils veulent vraiment, vraiment éviter de s’impliquer. Jusqu’au discours d’Obama, mi-septembre 2014, les États-Unis ont fait tout ce qu’ils ont pu pour éviter d’intervenir.

Quand vous additionnez tout ça – un gouvernement divisé et instable doublé d’une armée amateur à la loyauté contestable et d’une population minoritaire en colère qui est sympathique à quiconque résistera au gouvernement ; les intérêts d’un voisin géant, l’Arabie Saoudite, alignés sur un gouvernement dépassé ; une guerre civile à côté ; et un groupe de pouvoirs occidentaux déterminés à rester à l’extérieur de ce conflit – vous tenez les ingrédients parfaits pour une recette explosive, propice à l’émergence des plus féroces groupes terroristes marginaux prêts à conquérir.

Daech


Les débuts de Daech – un groupe djihadiste Sunnite – peuvent être tracés jusqu’en 1999, quand Abou Moussab Al-Zarqaoui, un djihadiste jordanien, fonde Daech parce qu’il a les glandes à propos de beaucoup de choses. En 2004, Zarqaoui jure allégeance à Al-Qaïda, puis le groupe évolue et devient « Al-Qaïda en Irak », l’un de ces groupes insurgents combattus par les États-Unis pendant la guerre. Quand la guerre s’essouffle, après la poussée des troupes américaines en 2007, Daech semble sur le déclin, et disparaît pour un temps.

En 2010, après l’assassinat du second leader de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi – un ancien spécialiste de la culture islamique (selon cette biographie pro-Daech, qui pourrait être avérée ou non) et prisonnier de guerre américain en 2004 – prend le relai et remet le groupe sur pieds. Il réapprovisionne leurs rangs décimés avec des douzaines d’anciens militaires du régime de Saddam qui apportent une expérience-clé au groupe. Puis, en 2011, quand la Guerre Civile éclate en Syrie, Daech rejoint les rebelles (logique, puisque le gouvernement Syrien est Chiite, et exactement le genre d’entité que Daech veut détrôner) – ce qui aide à entraîner et endurcir le groupe. Le comportement de Daech en Syrie était si cruel et si sévère qu’ils commencèrent même à foutre les jetons aux autres méchants groupes, Al-Qaïda inclus, qui finit d’ailleurs par en avoir marre et couper les ponts avec Daech début 2014.

Jusqu’à l’aube de juin 2014, seuls ceux qui suivaient l’actualité avec attention connaissaient Daech. Et c’est là que tout bascula.

Le 5 Juin, quelques heures après l’achat de mon billet d’avion non-remboursable pour l’Irak, Daech déboula dans le pays, prit le contrôle de la frontière, et commença à systématiquement conquérir les villes à l’Ouest de la nation. Et, soudain, tout le monde entendit parler de Daech.

Deux choses furent spécialement choquantes concernant la progression de Daech en Irak. D’une part, la manière horrifiante, très Gengis Khan style, dont ils menaient leurs affaires –rassemblant et exécutant immédiatement tout homme d’Etat, ou toute personne qui fut un jour au service du gouvernement, puis exécutant toute autre personne qui s’opposait à leur prise de pouvoir. D’autre part, le fait que dans chaque ville que Daech attaquait, l’armée militaire fuyait. Cela s’explique en partie parce qu’ils étaient horrifiés par Daech, et en partie parce que, comme on l’a expliqué, les militaires Sunnites n’avaient pas trop envie de se battre contre un groupe Sunnite pour défendre un gouvernement qu’ils haïssaient. De fait, l’Ouest de l’Irak tomba rapidement aux mains de Daech, et dès le 9 juin, ils avaient capturé Mossoul, la deuxième plus grande ville d’Irak.

Les zones Syriennes et Irakiennes qu’ils avaient conquis (et qu’ils contrôlent toujours) sont de la taille de la Belgique. Al-Qaïda n’a jamais rien conquis – ils se contentaient de tuer. Alors, comment Daech a-t-il fait ? En plus de la recette explosive d’ingrédients présentés ci-dessus, et d’un soutien civil bien plus massif qu’Al-Qaïda n’a jamais eu, Daech a trois qualités qui le rendent si efficace.

  1. Ils sont d’une violence inouïe. L’absence de respect pour la vie humaine est une qualité utile quand on essaie de conquérir une nation. Ce rapport d’Amnesty International détaille des témoignages de la brutalité de Daech, à tel point que ça semble irréel. En voici un exemple.

Un témoin d’un massacre massif à Solagh, un village au Sud-ouest de la ville de Sinjar, a rapporté à Amnesty International que le matin du 3 août, alors qu’il essayait de s’enfuir vers le Mont Sinaï, il vit des véhicules remplis de soldats de Daech approcher, et parvint à se cacher. Depuis sa cachette, il les vit capturer quelques civils d’une maison à l’ouest de la périphérie de Solagh : « Une Toyota pick-up s’arrêta près de la maison de mon voisin, Salah Mrad Noura, qui leva un drapeau blanc pour indiquer qu’ils étaient des civils pacifiques. Le pick-up transportait 14 soldats à l’arrière. Ils capturèrent 30 personnes dans la maison : hommes, femmes, enfants. Ils placèrent les femmes et les enfants, une vingtaine d’entre eux, à l’arrière d’un autre véhicule qui venait d’arriver, une grosse Kia blanche, et emmenèrent les hommes, environ neuf d’entre eux, près du lit desséché de la rivière, à côté. Ils les ont fait s’agenouiller, et leur ont tiré dans le dos. Ils furent tous tués ; je les ai regardés depuis ma cachette pendant un long moment avant que l’un d’entre eux ne bouge. Je connaissais deux de ceux qui furent tués : mon voinsin Salah Mrad Noura, qui avait à peu près 80 ans, et son fils Kheiro, entre 45 et 50 ans. »

Daech est officiellement le groupe terroriste le plus meurtrier de l’Histoire. Cet outil retrace l’activité des groupes terroristes les plus proéminents, et si vous appliquez le filtre « Most Victims » (plus grand nombre de victimes), Daech apparaît en premier, malgré le fait qu’il soit actif depuis moins de dix ans (leur nombre de morts est plus du double de celui d’Al-Qaïda depuis sa création).

  1. Ils sont sophistiqués. Daech fonctionne comme une entreprise bien tenue – ils savent recruter (les forces de Daech sont supposément chiffrées à plus de 50 000 soldats en Syrie et 30 000 en Irak), ils savent lever des fonds, et ils sont incroyablement bien organisés. Daech produit un rapport annuel minutieux et professionnel qui détaille les tueries et les conquêtes de la même manière qu’une entreprise ferait un compte rendu de sa marge de croissance. Voici un graphique de leur rapport de 2013 annonçant leurs méthodes variées pour les 7681 attaques de l’année – ça fait froid dans le dos.

Tu pourrais aimer...
Front National : un 1er mai manqué pour l'idéologie Le Pen

Ils sont aussi très forts sur les réseaux sociaux. Aaron Zelin, un expert des djihadistes de l’Institut de Washington, dit que sur le terrain des réseaux sociaux, Daech est « probablement plus sophistiqué que la plupart des entreprises américaines ».

  1. Ils sont incroyablement riches. Selon les Renseignements Irakiens, Daech possède un capital de 2 billions de dollars, et cela fait de lui, de loin, le groupe terroriste le plus riche du monde. La plupart de cet argent a été saisi à la capture de Mossoul, incluant les centaines de millions de dollars américains provenant de la banque centrale de Mossoul. Par ailleurs, ils contrôlent des champs pétrolifères et gagnent, selon les rapports, 3 millions de dollars par jour en vendant le pétrole au marché noir, et encore plus d’argent leur parvient par dons, par extorsions et par rançons.

Daech a également mis la main sur une quantité problématique d’armes à haut-calibre et de tanks américains qui étaient destinés à l’armée irakienne, mais laissés à l’abandon quand l’armée s’est enfuie. Ils ont même mis leurs mains sur du matériel nucléaire trouvé à l’université de Mossoul. Le 29 Juin, Daech se fit plaisir et s’autoproclama Califat – un Etat Islamique mondial – et commanda à tous les musulmans du monde d’obéir à Abou Bakr al-Baghdadi, le grand Calife. Ceux qui vivent dans les villes capturées par Daech ont un avant-goût de ce que la vie offre sous le nouveau califat :

  • Les femmes ont à peu près autant de droits que les poissons rouges, elles peuvent à peine quitter la maison et n’ont pas le droit de montrer leur visage en public.
  • Il est formellement interdit de fumer, et de falsifier ou désactiver le détecteur de fumée dans les toilettes des avions.
  • S’ils ne sont pas juste rassemblés et exécutés sur le tas, les Chrétiens et les autres religions sont forcés à se convertir à l’Islam, payer une lourde taxe, devenir réfugié, ou mourir. Les portes des maisons chrétiennes sont marquées d’un ن, un symbole qui signifie qu’ils sont Chrétiens. Nazi-style.
  • Certains rapports disent qu’une fatwa (une loi Islamique régnant par autorité) fut publiée, déclarant que toutes les femmes entre 11 et 46 ans subiraient une mutilation génitale, une tradition destinée à supprimer le désir sexuel d’une femme, pour mieux décourager un «comportement immoral ».

Concernant les objectifs futurs, l’objectif à court terme est d’établir une nation islamique dans les zones actuellement contrôlées, et d’étendre leurs frontières. À moyen terme, al-Baghdadi a déclaré que « cette progression bénie ne s’arrêtera pas tant que nous n’aurons pas porté le coup de grâce à la conspiration Sykes-Picot » - c’est-à-dire jusqu’à ce que ces frontières dessinées à l’aide d’un crayon et d’une règle après la Première Guerre Mondiale soient tombées, et que toutes les nations fassent partie du nouveau califat. Sur le long terme, Daech veut étendre son califat aux confins de la première dynastie musulmane en 750, et même au-delà.

Certains disent que cette carte n’a pas été faite par Daech, mais plutôt par leurs supporters. Même si cela est vrai, les ambitions d’al-Baghdadi semblent pourtant bien correspondre, et même dépasser celles dessinées sur la carte. En Juillet 2014, al-Baghdadi diffusait un message auprès des musulmans, leur assurant que Daech « conquerra Rome, et contrôlera le monde. » Les trois mois suivants, alors que Daech a piétiné l’Irak, 1,2 millions d’irakiens sont devenus réfugiés. 700 000 d’entre eux se sont cachés (et se cachent encore) sous la protection de l’armée Kurde. L’un de ces 700 000 réfugiés est Mahomet, 8 ans et très sévèrement blessé, qui vivait une vie normale à Mossoul jusqu’à ce que Daech attaque.

- - -

Cinq jours après ma visite au camp de réfugiés de Khazir, Daech a lancé un assaut meurtrier dans la zone effrayante, et a capturé le camp de Khazir. La Peshmerga s’est retirée, transformant instantanément la zone en territoire effrayant-en-italique. Cette nuit-là, le drapeau noir de Daech s’est élevé au-dessus du camp où le drapeau Kurde flottait encore plus tôt. Par chance, cela arriva après quelques jours de bataille entre Daech et la Peshmerga, et les réfugiés eurent le temps de fuir avant que Daech n’arrive. Mais maintenant, où vont-ils aller ? Des gens comme Kamil, un officier de police, ne peuvent pas retourner à Mossoul – son nom était sur le registre du gouvernement, et il serait exécuté dès son arrivée. Mais beaucoup de réfugiés pauvres ne sont pas autorisés à entrer au Kurdistan ; certains campent simplement dehors, le long des routes, sous une chaleur de plomb.

Quelques jours plus tard, avec l’aide des forces aériennes américaines, les kurdes reprirent le camp de Khazir et un certain nombre d’autres camps que Daech avait clamés.

Depuis ma visite, deux nouveaux développements nous permettent d’espérer un renversement de situation. La première est que Nouri al-Maliki, le Premier Ministre clivant, a été destitué et a été remplacé par un leader Chiite, Haïder al-Abadi. Nous verrons si al-Abadi peut calmer un peu de la rage Sunnite que l’administration al-Maliki a attisée.

Le second développement est arrivé quand le Président Obama a annoncé, en septembre 2014, que les troupes américaines s’engageraient dans une nouvelle salve de frappes aériennes, en Syrie et en Irak, pour essayer de vaincre Daech. Une coalition occidentale (États-Unis – Europe – Russie) semble également se former à l’aube des attentats de Paris et de Russie. Les frappes aériennes ralentiront Daech, mais pour vaincre et démanteler un groupe aussi obscur, implacable et intrépide que Daech, je doute que des frappes aériennes suffisent. Ça va être bien plus compliqué que ça.

- - -

Tu pourrais aimer...
L’étudiant végétarien, loin du cliché

Si Wait But Why vous a convaincu, inscrivez-vous à la newsletter de Wait But Why, et vous recevrez les nouveaux post dès leur sortie, histoire de ne pas avoir à checker le site. Si vous avez envie de soutenir Wait But Why, devenez leur patron ! Vous pouvez aussi suivre Wait But Why sur Twitter et Facebook.

Comments

comments