Il y a tout pile un an, Jay-Z montait sur scène en grande pompe avec tous ses amis très riches et très célèbres pour signer le manifeste Tidal après un tapage médiatique en bonne et due forme. Et puis voilà, ça arrive au meilleur d’entre nous, même à Jay-Z : c’est l’échec cui-sant. Pour son anniversaire, le meilleur cadeau qu’il puisse lui faire, c’est de vendre à Samsung. Retour sur cette hé(go)catombe.
« The game changes for ever, and it happens today » (ou pas)
C’était un jour « historique ». Vous aussi, vous vous en souvenez. Le 31 mars 2015, Jay-Z grimpait sur scène avec Taylor Swift, reine du monde, avec Madonna, qui chevauchait la table pour signer son manifeste, et avec tout un tas d’autres musiciens qui explosent les charts à chaque nouveau tube. Ils étaient une belle bande de potes, ils nous vendaient un rêve, avec Chris Martin sur écran géant derrière, tranquillement installé dans son petit canapé avec un tee-shirt à la propreté douteuse. Ils voulaient changer le monde.
« Ils sont les transmetteurs, nous sommes les artistes », expliquait alors très humblement Madonna, « et nous nous retrouvons en arrière-plan ». Comme Taylor Swift retirait ses albums de Spotify pour ne pas donner sa musique gratuitement, avec Tidal, Jay-Z créait sa propre plateforme de streaming musical où les artistes sont également les actionnaires. Une sorte de SCOP de l’élite musicale.
Les sites de streaming, c’était une sorte de mac véreux qui pompait leurs indécents dividendes. En supprimant leur proxénète musical, Rihanna, Nicky Minaj et Coldplay pouvaient désormais mettre leurs titres en ligne selon leurs propres termes, et récolter des Royalties supérieures à celles qui leur étaient versées par les vilaines plateformes de streaming.
« The game changes for ever, and it happens today ». Un an plus tard, le game est toujours le même, Tidal est plus proche du Titanic que du Titan qui était annoncé, et Jay-Z fait profil bas pendant que son bébé sombre doucement dans la risée du web. Portrait d’un naufrage.
Étape 1 : Le marketing clinquant de Jay-Z
SCOP sociale pour milliardaires d’un côté, gage d’une qualité audio inaccessible sur le marché du streaming de l’autre, le bébé de Jay-Z aurait pu séduire mais a péché par bien des aspects à s’affirmer parmi les géants de l’industrie (Spotify, Deezer, Apple Music, etc.).
Tidal, ça partait de l’idée que les plateformes de streaming diffusaient les titres en reversant une somme ultra dérisoire aux artistes (quelques centimes pour Spotify), et en se faisant une marge énorme sur eux. Tidal devait donc rémunérer les musiciens de façon plus juste que ses concurrents, d’autant plus que certains d’entre eux – les porte-paroles du « mouvement Tidal » – en étaient pas seulement participaires, mais carrément actionnaires.
Le problème, c’est que ces porte-paroles montés sur scène pour signer le Manifeste Tidal qui promettait de défendre la veuve et l’orphelin de la musique, c’était la bande de potes de Jay-Z et de Beyonce : Madonna, Kanye West, les Daft Punk, Rihanna ou Nicki Minaj. Ce qui devait être un super coup de com – regardez mes amis superstars me suivent, suivez-moi aussi, cher peuple, donnez-moi votre argent – se transforme en un bad buzz viral : la manifestation de solidarité entre artistes superstars planétaires qui claquent ostentatoirement leurs recettes sur les réseaux sociaux ne prend pas. Le chanteur de Death Cab for Cutie l’analyse très justement : « Je pense qu’ils se sont complètement plantés en ramenant sur scène une bande de millionnaires et de milliardaires qui se sont ensuite plaints de ne pas être payés. »
Étape 2 : L’offre streaming manque de pertinence
Le vrai problème de Tidal est intrinsèque à son offre. Pour 9, 99 €, vous avez accès à 25 millions de titres de qualité standard – ce qui existe déjà sur le marché du streaming chez Spotify, Beats & Co, avec une version gratuite basée sur la publicité (version inexistante chez Tidal). Pour 19,99 €, soit deux fois plus que Spotify, vous avez un son de très haute qualité. Le problème que Jay-Z n’avait pas anticipé, c’est qu’à peu près tout le monde s’en fout.
L’autre service que proposait Tidal, c’était des exclus. Mais avec des abonnés qui peinent à se dénombrer, les rats artistes quittent vite le navire. Début juin, soit trois mois à peine après le lancement de la plateforme, Drake a préféré Apple Music à Tidal. Pour le leader d’Arcade Fire, ça n’a rien d’étonnant : si la joyeuse bande semble unie contre tous sur scène, en coulisses, c’est le bordel. « Aucun des artistes ne savait comment fonctionnaient les relations publiques. Le lancement a été très mal géré. Mais ce que nous aimions à propos de Tidal, c’était que cela soit un service de streaming de haute qualité », confie-t-il dans les colonnes de The Independant.
Le dernier en date à faire des infidélités à Tidal, c’est Kanye West. Il avait juré, au début de l’année, que son dernier opus « The Life of Pablo » ne serait jamais disponible sur Apple Music, que l’exclu demeurerait sur Tidal. Résultat, le titre « Famous » est aujourd’hui accessible sur Spotify, Google Play Music et Apple Music.
My album will never never never be on Apple. And it will never be for sale… You can only get it on Tidal.
— KANYE WEST (@kanyewest) 15 février 2016
Ultralight Prayer: https://t.co/CiopQ9BbGl
Happy Easter!— KANYE WEST (@kanyewest) 27 mars 2016
Étape 3 : La morale Tidal est inefficace
L’aspect moral de Tidal, c’était sa grande force. De petits artistes opprimés par l’énorme industrie musicale auraient fait de bons porte-paroles. Spotify vole les articles, Spotify défèque sur l’industrie : c’est un message qui passe mieux avec Kinito qu’avec Kanye West parce que, franchement, qui oserait être ému par de pauvres petits artistes qui agitent leur opulence en permanence et qui chouinent pour un cachet supplémentaire ? Niveau crédibilité, c’est aussi probant que Sarkozy qui irait dîner aux Restos du Cœur.
Le problème, c’est que si les fans aiment écouter leurs artistes, ils se foutent royalement de leur salaire. Le contenu exclusif pourrait quand même les séduire … Mais s’’il y a bien une chose que les seize dernières années de l’industrie musicale nous ont appris, c’est que le public préfère consommer de la musique à moindre coût que de s’offrir le luxe d’exclus streaming. C’est pour ça que Spotify a conquis tellement de monde, malgré les gémissements de chanteurs à propos de leurs tout petits chèques. Comme le spécialiste de l’industrie musicale Bob Lesfetz l’avait écrit il y a quelques temps déjà, les gens « aiment plus leur argent que leurs artistes préférés. Ne l’oubliez jamais ». Dommage que Jay-Z n’y ait pas pensé.
Au final, le joli sermon moralisateur de Tidal ne sert pas la plateforme qui aspirait à être plus généreux avec ses artistes. Alors que Spotify reverse 70 p.cent de ses revenus aux artistes et à ceux qui détiennent les droits, le Los Angeles Times indique que Tidal en reverse 75 p.cent. Si vous pensez que le streaming la fait à l’envers à votre groupe préféré, dit si justement Slate, Tidal va juste le baiser un tout petit peu moins. Et nous ne sommes pas beaucoup à en avoir quelque chose à faire.
A voir ci-dessous : Ariana Grande sauve Tidal