On connaissait déjà le talent d’Hélène Zimmer pour dire de manière extrêmement visuelle le chaos social. Dans son film À 14 ans, elle montrait la désillusion des gamines adolescentes, jeunes, nubiles, à peine sexuées, livrées à elles-mêmes dans un monde exempt d’adultes. Dans Fairy Tale, elle use d’une plume acerbe et incisive arrosée à l’humour noir pour raconter l’enfer d’une classe moyenne étranglée par la violence du capitalisme. Et ça n’a rien d’un conte de fée.

Fairy Tale, Hélène Zimmer (POL)

Fairy Tale, c’est ce qu’il reste de l’amour après la conception des enfants et la répartition des tâches.

« Et l’autre enculé là… Mouret… Avec son avertissement de merde… Il croit qu’on et à l’école le gars. Il croit qu’il peut arrêter de payer nos heures sup comme ça. Il a vu ça ou lui ? Je pensais pas que je dirais ça un jour mais Frédéric il me manque finalement.
- C’est qui Frédéric ?
- Frédéric… Mon ancien chef… Je m’appelle Coralie au fait. Je suis la mère de tes gosses. Tu sais, la chatte que tu remplis quand t’es au calme chez toi. »

Fairy Tale, c’est ce qu’il reste de Coralie.

« Life happens »

On s’attendait à tout sauf à ça.

Fairy Tale, c’est le conte de fées. Pourtant, chez Coralie, ça vire au cauchemar dès les premières lignes. Une ado en pleine rébellion, deux enfants en bas âge qui s’agitent en permanence, un mec chômeur en fin de droits, un job alimentaire qui alimente bien peu, un employeur qui lésine moins sur le harcèlement moral que sur la rémunération des heures sup – bref, on est loin du royaume enchanté.

Cendrillon malheureuse, Coralie bosse, récure, entretient. Elle écume les avertissements, les insultes. Elle conjugue les mots d’amour au « ta gueule » de l’indicatif. Elle ne sait pas dire, alors elle beugle. Coralie, c’est l’angoisse au quotidien, la peur de demain, l’impuissance de sa classe sociale qui l’englue dans un rôle qu’elle haie, qu’elle déteste, qu’elle exècre. Jusqu’à ce qu’elle tombe sur l’émission de téléréalité « Fairytale » qui pourrait aider Loïc, celui qui squatte le canap, à trouver un emploi – enfin. Et si sa happy end était au bout de la caméra ?

Dans un premier roman cru, Hélène Zimmer brosse le portrait d’une famille érodée par les problèmes de la vie dans un quotidien morose et anxiogène. L’installation en couple, la naissance des enfants, les obligations financières, tous ces éléments constitutifs de la famille participent de la dégradation identitaire. Plus les statuts s’empilent, plus les couches sociales se superposent – femme, mère, vendeuse – plus l’être se disperse, perd en épaisseur. Coralie existe pour les autres. Sa vie appartient à ses enfants, au père de ses enfants, à son patron. Elle pense avoir choisi librement ce qui l’entrave. Son histoire est celle d’un emprisonnement consenti. Un naufrage fulgurant servi par une écriture rythmée, acerbe, poignardante. Dans Fairy Tale, les dialogues font aussi mal que le quotidien.

Découvrez les premières pages de Fairy Tale

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Fairy Tale : il était une fois putain de sa race

par Lolita Savaroc Temps de lecture : 2 min
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